Des poches de croissance dans un océan de décroissance. Pourquoi les grandes métropoles japonaises sont-elles les dernières à perdre de la population ?

Retranscription de la conférence du 18 janvier 2024 à l’Institut de France (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

ESPI & Université Municipale de Tokyo

Date de publication

18 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

La photo ci-dessous montre la rue où je réside quand je suis au Japon, au sud-ouest de la ville de Tokyo, dans le quartier de Nakameguro. Là, c’est près de la gare. Sa structure est très typique de ce dont le professeur Almazan vous a parlé ce matin. Les abords de la gare ont été l’objet d’un projet de production d’un condominium résidentiel de grande hauteur pourvu, ensuite, de bâtiments de moindre hauteur autour, comportant de nombreux services et restaurants et qui tranche avec un tissu composé essentiellement de maisons de ville des deux côtés de la rivière voisine qui traverse cet arrondissement.

Figure 1

Les rues commerçantes adjacentes, très vivantes, sont coordonnées par une association de marchands, qui a, par exemple, organisé il y a quelques jours une fête pour le Nouvel an avec le passage d’un cortège déguisé en dragons chinois. Cela donne au tout un esprit villageois qui en fait une des parties les plus prisées de Tokyo. Il s’agit précisément d’un type d’habitat qui concurrence durement les espaces en déclin dont je vais vous parler à présent.

Mon propos repose en effet sur une quinzaine d’années d’étude de l’évolution des mobilités résidentielles et quotidiennes dans les banlieues vieillissantes et en dépeuplement du Japon contemporain, focalisée sur la région d’Osaka-Kyoto-Kobe. La thèse que j’ai soutenue en géographie et aménagement en 2015 insistait notamment sur le rôle ambivalent des politiques de promotion de la ville compacte par le gouvernement central, qui vise en particulier à encourager les retours en centre-ville des ménages âgés pour éviter leur dépendance à l’automobile en banlieue et grâce à la sélection de périmètres de rénovation urbaine. Mais ces politiques incitatives, dites « de ville compacte », n’ont pas assez doté les autorités locales d’outils pour planifier des démolitions et ainsi éviter la formation d’un patchwork complexe de renouveau urbain et de zones évidées. J’y reviendrai. Si cela vous intéresse, le PUCA y avait consacré un « Quatre pages » en septembre 2016.

Désormais, et dans cette continuité, je m’intéresse en particulier aux effets socio-économiques et sur l’habitat de la multiplication de biens fonciers et immobiliers délaissés, dans les territoires marginalisés et moins attractifs des métropoles japonaises. Ces biens représentent aujourd’hui auprès des ménages comme des collectivités locales, un immobilier à valeur négative, désigné en japonais par le néologisme fudôsan, et qu’avec le professeur Koyanagi Shun.ichirô, juriste, nous avons traduit par “négabilier” en français.

1 Introduction

Ma présentation tente de répondre à une question extrêmement pertinente qui me fut posée par David Miet il y a quelques mois, à savoir : pourquoi les centres des métropoles japonaises continuent à se densifier et à attirer des ménages de tous âges dans un contexte national de décroissance, quitte à s’installer dans des logements assez exigus et au détriment de villes et de territoires moins centraux dont la dédensification se poursuit, alors que leur habitabilité et leur desserte demeurent bonnes en comparaison à leurs homologues français en particulier.

Figure 2

C’est ce qui fait que, par exemple, une même architecture de rues marchandes couvertes, de galeries marchandes couvertes au cœur de Tokyo, comme à Shinagawa sur la photo du haut à droite, incarne aux yeux des visiteurs étrangers le charme de l’urbanité japonaise et est à son pic de dynamisme. Pour information, le Japon a battu au mois de décembre 2023 son record de fréquentation touristique internationale. Or, c’est ce parangon de l’urbanité japonaise à nos yeux qui concentre à l’inverse toutes les marques de la fermeture des commerces et services de détail dans une banlieue vieillissante et en déclin, comme dans la ville de Yao, à l’Est de la ville d’Osaka, dont vous voyez une photo en bas à droite.

Un des facteurs majeurs de cette divergence de trajectoires, selon moi, se situe dans une baisse du nombre de candidats à une installation dans des territoires périurbains qui ont accueilli des milliers de familles dans les années d’après-guerre, lors de l’équivalent japonais des Trente Glorieuses, des années 1955 à 1985 environ ; il en résulte de graves problèmes de non-continuité démographique dans ces territoires spécialisés dans des fonctions résidentielles, auxquels doivent s’adapter les dispositifs d’aménagement hérités de la période de haute croissance.

Afin que vous puissiez mieux visualiser l’ampleur des défis, je partirai de quelques cartes que j’avais en partie réalisées ou extraites d’autres sources exposant à plusieurs échelles les dynamiques de croissance et de décroissance urbaine du Japon, avant de rappeler comment les socles d’un cercle vertueux de développement économique et urbain, périurbain surtout, se sont transformés en une spirale négative frappant l’univers socio-culturel de la banlieue japonaise — ce que j’ai nommé suburbia sur la slide précédente — sous l’effet d’une déstabilisation des parcours de vie des résidents du Japon depuis la fin de la bulle en 1990 et la crise économique et sociale longue qui s’ensuivit. Enfin, je présenterai rapidement des mesures récentes qui essaient de limiter la massification de la vacance longue des logements et des terrains au Japon, mais dont les performances sont vivement critiquées par les experts japonais eux-mêmes.

2 Une approche géographique des « derniers bastions » de peuplement du Japon contemporain

Pour rappel, voici une évolution de la population japonaise depuis 1950 avec des projections jusqu’en 2075 basées sur les scénarios de l’institut national des études démographiques du Japon. Le pic historique de population a été atteint vers 2008 et, depuis 2020, on enregistre une perte nette d’habitants qui, avec l’effet de la pandémie, a été de près de 500’000 par an, en 2021 puis en 2022, soit plus d’un million d’habitants perdus en deux ans et demi.

Figure 3

On passerait de 127 millions en 2008 à moins de 90 millions à peine à l’horizon 2040. Cette dépopulation s’est conjuguée à une baisse de la part des moins de 15 ans, qui constitue aujourd’hui à peine moins de 15% de la population totale, faute d’assez de naissances par rapport à l’entrée dans le grand âge des générations nées après la 2e guerre mondiale.

L’année 2008 correspond aussi à celle du pic de la crise des subprimes (surnommée « choc Lehman » au Japon), qui a signé une réduction forte du nombre annuel de mises en chantier de logements collectifs et individuels après des années de relance soutenue par de grands projets urbains dans les années 2000. C’est ce qui a contribué à la verticalisation des paysages de Tokyo, dont il était question ce matin.

Il faut savoir qu’en raison de la faible durée de vie du bâti à usage résidentiel, la majorité des primo-accédants japonais continue de se tourner vers l’achat de biens neufs, plutôt que des biens dits de seconde main ou d’occasion et qui ne se valorisent pas avec le temps (« l’ancienneté » d’un bâtiment ne participe que très rarement à son cachet et donc à sa valorisation, même si la pratique de la réhabilitation en mode DIY s’y est aussi développée). C’est donc différent de la situation française : si les constructions correspondent à de la promotion sur des sols artificialisés et non à de la réhabilitation, le stock grossit significativement et ainsi plus encore le pourcentage de logements non occupés après le départ de leurs propriétaires occupants. Le taux de logement vacant, selon les grandes enquêtes quinquennales du ministère du territoire japonais, atteignait 13.5% du parc total en 2008.

Figure 4

J’aime beaucoup cette carte dynamique réalisée par la chaîne publique NHK qui confirme que le pic national de croissance urbaine a été atteint dès la seconde moitié des années 1990. Les territoires qui continuent à gagner des habitants sont coloriés en rouge. On trouve la carte à ce lien.

Figure 5

On voit que les zones qui gagnent de la population ne cessent de se rétracter au point de ne plus distinguer que quelques îlots au centre de Tokyo, au cœur de la région de Nagoya et d’Osaka, Kyoto, Kobe, et cela exclut une majorité des grandes banlieues qui se sont étendues autour de ces trois métropoles. En outre, la plupart des régions touchées au XXe siècle par l’exode rural n’ont pas connu de retour en grâce, ou de réinvestissement tel qu’on a pu l’observer pour certaines campagnes françaises dans les années 1990 et 2000.

3 La dévalorisation de l’habitat périurbain, versant spatial d’une déstabilisation des parcours de vie individuels

Si nous zoomons sur le département d’Osaka et que l’on observe les dynamiques de peuplement et de dépeuplement par quartier, comme sur cette carte à gauche, on voit la complexité de l’entremêlement de quartiers anciens qui stagnent ou se dévitalisent faute de nouveaux arrivants pour succéder aux résidents partis ou décédés, avec des zones qui ont cru au contraire, celles en orange-rouge, grâce à de la promotion immobilière, notamment au cours des années 2000.

Figure 6

On distingue ici le centre d’Osaka (qui était mon terrain principal), qui a bénéficié du regain d’intérêt des jeunes actifs et étudiants célibataires ou des couples biactifs pour la vie en centre-ville. Et du côté des banlieues en déclin où j’ai enquêté, les quartiers anciens non rénovés se concentrent autour des gares. Il y a une corrélation entre l’âge du bâti et les taux d’évidement alors que des quartiers plus éloignés ont cru grâce à de nouveaux lotissements de sorte que les déplacements quotidiens y sont plus motorisés. Dans le cercle rouge ici, j’ai isolé la ville de Kawachi-Nagano, au sud de la ville d’Osaka qui est sur la baie : elle comporte de nombreux quartiers pavillonnaires en vieillissement dont vous voyez ici à gauche une vue aérienne, à partir de laquelle on devinerait difficilement le nombre de logements visiblement fermés et vacants, possiblement occupés de façon intermittente par les enfants des propriétaires qui l’ont acheté à l’origine.

Figure 7

En raison de la violence des aléas climatiques et sismiques au Japon, les biens vacants peu entretenus sont susceptibles de se détériorer rapidement, et le cas échéant, c’est la valeur des biens voisins qui est négativement impactée par l’essor de biens dits « en déréliction », et qui agissent comme des perforations dans des tissus densément bâtis.

On assiste donc depuis 15 ans à un retournement, au moins un retournement généralisé des trajectoires de développement périurbain au Japon, difficile à imaginer avant les années 1990. Il existe de nombreuses études en français, celles de Natacha Aveline au premier chef, qui ont mis en exergue le rôle historique des opérateurs ferroviaires privés généralistes dans la construction d’univers périurbains organiques, qu’ils aiment à représenter par des sortes de cartes mentales. On voit que ces opérateurs savaient aménager le long de leurs lignes, des univers très bien conçus pour l’accueil de salariés avec leur famille au cours du XXe siècle. Ces compagnies, dans la région d’Osaka, comme Tokyo d’ailleurs, ont très tôt déployé des stratégies de captation foncière et ont intelligemment accueilli des équipements scolaires, médicaux, sociaux, commerciaux, de loisirs, répondant à tous les besoins des familles.

Figure 8

Or, ces complémentarités, le long de réseaux ferroviaires multimodaux, se fragilisent en premier lieu avec une précarisation du marché de l’emploi, une stagnation des salaires, peu de réformes du temps de travail et une hausse des coûts de l’éducation.

Figure 9

Donc il en résulte qu’un nombre décroissant de jeunes adultes, à partir des années 2000, est ainsi en mesure de suivre le parcours de leurs parents, où un salarié avec une carrière stable se mariait, achetait un bien, où il élevait ses enfants avec son épouse, qui généralement ne travaillait pas après la naissance des enfants. Il est ainsi apparu que les communes périurbaines de Tokyo et d’Osaka ont beaucoup de mal à attirer de nouveaux arrivants qui sortent de ce type de parcours de vie. Comme leur économie locale est très résidentielle, l’offre, le marché local d’emploi est très axé sur le secteur du care (soin aux personnes âgées en particulier). En outre, l’offre renouvelée en logement collectif des centres métropolitains en vient aussi à concurrencer l’offre existante des territoires périurbains auprès de ménages mariés bi-actifs qui souhaitent limiter le coût et le temps de leur transport : ces derniers sont donc plus attirés par l’habitant en condominium.

4 Des politiques à la hauteur des enjeux de décroissance planifiée ?

Il faut aussi noter que cette bifurcation des trajectoires de nombreux territoires en périphérie et hors des métropoles s’est renforcée avec le renoncement, à la fin des années 1990, à des politiques de rééquilibrage national assez similaires aux plans de déconcentration industrielle français, au motif de leur inefficacité. S’y sont substituées dans les années 2000 des stratégies de renouvellement urbain défendant la globalisation de Tokyo, avant tout, mais aussi d’Osaka, de Fukuoka, de Sendai au nord, pour résister à la compétition montante d’autres villes globales d’Asie et au nom de l’effet de ruissellement (trickle-down effect).

Figure 10

Ultérieurement, au milieu des années 2010, le gouvernement d’Abe Shinzô, porté par des factions dites ruralistes au sein du Parti Libéral-démocrate, a relancé des dispositifs de revitalisation rurale avec la loi sur la revitalisation régionale  laquelle est assez proche dans ses principes et objectifs de ceux d’Action Cœur de Ville. On voit d’ailleurs que les régimes d’aménagement français et japonais suivent une chronologie assez concordante.

Ces dispositifs consistent à redéployer au niveau des régions non métropolitaines, et notamment de grandes villes intermédiaires comme Toyama, des logiques de compacité urbaine, de soutien au rapprochement des habitants et des ressources restantes d’une agglomération de taille moyenne en déclin autour de nœuds ferroviaires multimodaux. C’est en fait ce rapprochement volontaire qui, sans interdire l’artificialisation, est censé pousser à l’abandon de la consommation d’espaces naturels à distance de ses centres. Mais cet idéal de décroissance planifiée par anti-étalement urbain se heurte néanmoins à l’immobilité de propriétaires captifs, de marchés immobiliers dévalorisés par une hausse considérable de la vacance.

Figure 11

Des taux supérieurs à 15 ou 20% de logements en propriété privée vacants, à 20 km d’Osaka ou à 30 km de Tokyo (plus c’est bleu, plus le taux de vacances est élevé), ne sont désormais plus très rares et peuvent aussi aller du simple au double à l’échelle infra municipale. Malheureusement sur ce point, on voit beaucoup de zones en gris, qui indiquent une information non communiquée sur le taux de vacance moyen à l’échelle municipale. La cartographie de ces dynamiques au Japon est en effet assez restreinte par d’importantes lacunes en données publiques, ou même payantes, harmonisées. Nous n’avons pas du tout le niveau d’information et de granularité des IRIS par exemple.

Dans ces conditions, sous la supervision d’un professeur de l’Université municipale de Tokyo, Uto Masaaki, j’ai cartographié une estimation du total de la valeur imposable des terrains à usage résidentiel par municipalité, à l’échelle des aires métropolitaines de Tokyo et Osaka, à l’horizon 2045 ; nous avons pour cela multiplié les surfaces soumises à l’impôt foncier par le prix moyen des biens immobiliers résidentiels publiés par le ministère du territoire.

Figure 12

Il en est ressorti qu’à l’horizon 2045, la poursuite de la dépopulation et donc le manque de demande en logement par rapport à l’offre pourrait faire diminuer de 30 à 70% la valeur actuelle des patrimoines immobiliers situés dans une majorité de municipalités entourant Tokyo et Osaka, pesant ainsi négativement sur la fiscalité des collectivités locales autant que sur les budgets des ménages. Ce qui est intéressant, c’est que les marchés qui vont perdre le moins en pourcentage, mais pas en valeur des biens à usage résidentiel, hors des cœurs métropolitains d’Osaka, Kyoto, Kobe ou Tokyo, sont des marchés qui pendant les cycles de bulle (inflation foncière) étaient devenus pratiquement inabordables.

Les ménages acheteurs profitent ainsi de la baisse, de la déflation, pour finalement se tourner vers des marchés qui leur étaient moins accessibles en période de forte inflation et demande en logement. Donc, la paupérisation prévisible des propriétaires de biens situés hors des derniers bastions de peuplement métropolitain (sur des marchés peu attractifs et donc peu susceptibles de trouver repreneurs) est une des conséquences macroéconomiques les plus inquiétantes de la géographie de la décroissance urbaine au Japon.

Figure 13

Selon une enquête de 2014 sur la consommation des ménages, le foncier représentait 46 à 51% des actifs détenus par les plus de 60 ans. Ces plus de 60-65 ans sont, selon les chiffres pour le Japon et les chiffres pour la France, à 79% propriétaires de leur résidence principale et à l’instar des ménages français de leur âge, ils désirent vieillir le plus longtemps possible chez eux.

Figure 14

Or, leur arrivée au très grand âge et leur décès dans les espaces périurbains où ils se sont installés au cours des années 1960 à 1990, laisse augurer une augmentation continue, dans ces territoires, du nombre de logements que leurs descendants ou ayants droit ont peu de chance de réoccuper et investir, revendre ou relouer, faute de demande.

Ce désintérêt conséquent des héritiers pour les biens fonciers et immobiliers susceptibles de coûter plus cher en taxes, en frais de rénovation, en assurance que la rente qu’on pourrait en tirer, a joué un rôle important dans l’essor de biens dits de propriétaires inconnus ou mal identifiés. Jusqu’à une date très récente, l’enregistrement d’une transmission familiale auprès des mairies était facultative, de sorte qu’un nombre croissant de descendants ne se sont pas manifestés. Comme le droit de la propriété au Japon est puissant, les municipalités concernées manquaient de moyens pour préempter des biens en voie de détérioration et nuisants aux voisinages.

5 Paupérisation des propriétaire et de leurs descendants

Figure 15

Sur le tableau en vert, vous voyez le pourcentage de parcelles, d’assez petite taille, le parcellaire étant fragmenté dans les villes japonaises. Donc dans les plus petites villes, les zones rurales, les biens dont le dernier enregistrement par un ayant-droit remonte à plus de 50 ans, atteindraient presque 27% du total des parcelles possédées par des particuliers. Lorsque les municipalités mènent des recherches généalogiques, elles découvrent qu’il y a 50 descendants potentiels dont le consentement est nécessaire pour faire des actes de disposition sur les biens indivis.

La vacance s’est instituée en problème public qui incite à modifier la législation foncière pour répondre à la situation urgente des communes. Dans le sillage des fortes réformes de décentralisation, une loi de 2014 attribue plus de compétences réglementaires à des municipalités dont les marges de manœuvre sont néanmoins limitées. Les moyens de remédier à cette situation font certes consensus parmi les experts et juristes : il s’agit de plus exclure les successions à une obligation de publicité foncière, créer des structures intermédiaires (comme ce qu’on appelle des banques de maisons vides), atténuer le caractère inviolable du droit de la propriété en s’attaquant aux propriétaires non coopératifs, mais en faisant appel à leur responsabilisation. Ainsi, les réformes confèrent d’un côté plus d’autorité au gouvernement locaux, de l’autre elles s’apparentent aussi à un urbanisme de l’austérité peu équitable, puisque les frais du recyclage sont reportés vers des individus qui ont été les plus lésés par la dévalorisation immobilière et foncière de l’après-bulle.

Sur cette slide est reproduit un schéma classique de banques de maisons vides : on essaie de mettre en relation, un peu comme avec la plateforme Zéro logement vacant, des acquéreurs potentiels avec des propriétaires qui se manifestent. À côté des plateformes municipales, on a aussi des centaines de plateformes privées ou communautaires tenues par des ONG, des agences ou entreprises, ce qui crée aussi une certaine opacité institutionnelle auprès des étrangers, qui à l’heure actuelle s’avèrent très intéressés par le rachat de maisons vides par attrait pour le tourisme au Japon, et en profitant de la faible valeur du yen. En fonction de ce que les collectivités espèrent, certaines proposent un service simple où elles gèrent la revente, la tentative de revente de maisons vides via des sites internet sophistiqués ; parfois, la mise en ligne des biens à racheter s’inscrivent dans une politique plus transversale d’incitation à la migration rurale : ça marche plutôt pour des communes qui vont mettre en valeur l’authenticité ou la beauté de leurs paysages ruraux.

Figure 16

6 Conclusion

En conclusion, les cœurs des métropoles japonaises sont les derniers à se dépeupler, je dirais, parce que par contraste, les espaces périphériques touchés par la dévitalisation souffrent d’un triple processus de vieillissement : des habitants, des tissus urbains mais aussi des mondes professionnels, des élus, des personnels techniques qui prennent de l’âge et qui peinent ainsi à entretenir une offre en aménités adaptée à une population diversifiée, notamment des jeunes actifs non mariés.

Si l’essor relatif du télétravail favorise la multilocalité, les migrations durables vers des espaces distants des centres sont limitées par le coût des transports, du maintien d’infrastructures et d’emploi, ainsi que par la difficulté à envisager des investissements publics et privés garantissant un bien-être individuel sur le long terme dans ces espaces. Enfin, la médiatisation des initiatives d’aide à la revitalisation rurale cible d’abord des territoires à fort potentiel d’agrotourisme, ce que ne sont pas aujourd’hui les espaces périurbains issus de phases d’étalement rapide. Nous avons donc de plus en plus de territoires coincés entre la Global City et la Global Country.

Je vous remercie de votre attention.

Réutilisation

Citation

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Veuillez citer ce travail comme suit :
Buhnik, S. (2024, January 18). Des poches de croissance dans un océan de décroissance. Pourquoi les grandes métropoles japonaises sont-elles les dernières à perdre de la population ? Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/des-poches-de-croissance-dans-un-ocean-de-decroissance-pourquoi-les-grandes-metropoles-japonaises-sont-elles-les-dernieres-a-perdre-de-la-population.html