Epargner et partager : les deux clés qui peuvent faire de la densification douce un outil au service du renforcement de la biodiversité

Retranscription de la conférence du 19 janvier 2024 à Sciences Po (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

vv.energy

Date de publication

19 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

La densité est-elle l’ennemie ou au contraire l’alliée de la biodiversité ? Que peuvent nous apprendre les travaux des scientifiques sur les liens entre densité et biodiversité ? Est-il possible de faire de la densification douce un levier pour activer le potentiel de biodiversité et d’adaptation aux changements climatiques de nos villes ?

1 Land Sparing et Land Sharing : deux notions pour éclairer la question de la biodiversité en ville

Les notions de Land Sparing et de Land Sharing sont issues de travaux de recherche, en premier lieu sur les modèles de développement agronomique. À leurs origines, elles servaient à questionner les grands modèles de production pour nourrir l’humanité et leur impact sur la biodiversité avec d’une part les modèles visant à épargner les milieux naturels des activités agricoles, en cloisonnant d’une part des sites de production intensive et d’autre part des terres totalement épargnée de l’activité agricole (land sparing) et d’autre part les modèles visant un partage des milieux naturels et des espaces agricoles (land sharing).

Ces notions ont été reprises pour le compte de la réflexion en matière d’urbanisme dès les années 2000 pour évaluer l’impact des modèles de développement urbain sur la biodiversité. Transposée à l’urbanisme, le land-sparing (to spare, épargner) regroupe les modèles de développement visant la compacité et l’intensification : utiliser le moins d’espace pour développer nos villes, afin laisser le maximum d’espace préservés à la nature et la biodiversité. Le land-sharing (to share, partager) regroupant pour sa part les modèles visant le développement de nos villes en essayant de les faire cohabiter, en les imbriquant avec le milieu naturel, ses dynamiques et sa biodiversité. La notion de land sparing en urbanisme est ainsi souvent associée à la notion de densité et de compacité alors que celle de land sharing l’est à celle de ville diffuse et étalée.

2 Land Sparing : si la densité n’est pas l’ennemi de la biodiversité, la densification ne l’est pas non plus.

Voici une image de Florence, un bon exemple de land-sparing : une occupation très compacte, très intense de l’activité humaine, où il y a très peu de place qui a été laissée, en tout cas à l’échelle macro, aux dynamiques naturelles. Cette compacité-là qui permet à la ville de Florence d’avoir des limites clairement définies : on voit à l’horizon depuis cette vue du dôme de la cathédrale, que la ville a une limite assez nette. Au-delà s’étend un espace qui est réservé à l’agriculture et aux dynamiques forestières et naturelles. La façon d’organiser notre occupation du territoire, pour l’habitat et les activités humaines dans les villes, pour la production agricole dans les campagnes, voilà deux sujets qui questionnent notre façon d’occuper le territoire.

Figure 1
Figure 2

Les données carroyées de l’occupation humaine de l’INSEE nous permettent d’identifier la répartition des espaces d’un kilomètre carré où il n’y a pas de résidents, au sens de l’INSEE. En vis-à-vis, on peut regarder la carte de l’indice de traitement phytosanitaire (IFT) ADONIS. Ces deux représentations donnent un moyen de visualiser l’impact de ces deux occupations, urbaine et agricole, qui sont les principales sources de pression.

Figure 3

3 Pressions menaçant la biodiversité : quel est le poids de l’urbanisation ?

Le groupement d’experts PatriNat a mené à l’échelle de la France un travail d’analyse des données et d’évaluation des sources de pression qui font peser une menace sur la biodiversité. Ces travaux nous permettent de mesurer la hiérarchie entre les différentes sources de pression sur la biodiversité : l’agriculture intensive figure en première position, suivie en deuxième par l’urbanisation.

Cette pression de l’urbanisation sur la biodiversité est principalement dû à deux facteurs : 1/ La perte de l’habitat due à l’artificialisation : le fait que les villes s’étendent et consomment des espaces naturels crée une forte pression sur la biodiversité. 2/ la fragmentation des milieux naturels du aux réseaux de transports.

Figure 4

Dans un rapport de mai dernier, le groupe PatriNat, publiait une cartographie qui identifie, à l’échelle France, où se situent les grands enjeux de biodiversité et quel est le rapport à l’urbanisation. Ce travail nous apprend d’une part que les points chauds de biodiversité (des espaces où il y a des assemblages d’espèces qui sont irremplaçables, donc des milieux qu’il faut absolument préserver, épargner) ne sont pas situés dans les environnements urbains et, d’autre part, que l’enjeu principal de l’urbanisation en matière de biodiversité est de limiter l’urbanisation aux espaces déjà urbanisés.

Figure 5

L’enjeux d’urbanisation est bien de limiter son extension pour préserver la biodiversité en optant pour une approche de land sparing fort qui implique par conséquent de penser le développement de la ville sur elle-même par processus de densification.

L’enjeu de la perte de biodiversité est désormais connu et bien documenté. Les données du Living Planet Index et leur récente représentation sous forme Biodiversity Stripe sur le même principe que les Climate Stripe nous permettent de mesurer la chute de biodiversité. Les experts parlent d’une chute de biodiversité d’à peu près 69% au cours des 60 dernières années.

Figure 6
Figure 7

En observant l’évolution d’une commune française sur ce pas de temps, par exemple celle de Châteaugiron en Ille-et-Vilaine, à travers les couvertures de photos aériennes, on mesure bien en quoi les deux sources de pressions que sont le déploiement de l’agriculture intensive et l’extension de l’urbanisation ont impacté les milieux et leur capacité à accueillir la biodiversité.

En 1952 et on voit comment on occupait l’espace : un centre très compact, un habitat très regroupé, et un espace rural très parcellé, riche de haie et de diversité de culture.

Figure 8

En 2020. On voit bien comment l’intensification de l’agriculture à simplifier les milieux avec le remembrement de parcelles, l’arrachage de haies et la disparition de nombreux vergers typique de la polyculture. Au niveau de l’urbanisation on retrouve le centre et sa compacité d’origine et on voit le résultat d’un processus massif d’extension urbaine de faible densité avec un tissu d’habitat individuel disposant de très grands jardins.

Figure 9

Entre la forme historique vernaculaire et les formes urbaines qui ont été produites sur les dernières décennies, le grand jardin a été l’un des principaux facteurs de l’étalement urbain.

4 Les grands jardins : le facteur de l’étalement urbain d’hier, gisement de la ville de demain, mis sous cloche aujourd’hui ?

Les grands jardins, qui ont été le moteur de l’étalement urbain des dernières décennies, font aujourd’hui l’objet d’une tendance forte à la préservation. Mais faut-il mettre sous cloche un des principaux leviers à notre disposition pour agir sur ce qui compte : épargner les milieux naturels de l’extension urbaine en densifiant la ville existante.

Dans une étude présentée en juin 2023, l’APUR présentait son analyse sur les enjeux et les perspectives offerte par « la ville pavillonnaire du Grand Paris ». Dans cette étude les tissus pavillonnaires nous sont massivement présentés comme de grandes surfaces vertes. La question du rôle du jardin et de son rôle dans la constitution des qualités du tissus pavillonnaire y sont beaucoup mise en avant : le rapport nous dit ainsi que les jardins jouent un rôle dans la lutte contre le phénomène d’îlot de chaleur urbain dans un contexte de réchauffement climatique, une qualité que l’APUR identifie comme menacée dans la mesure où considérait les jardins comme des espaces potentiellement constructibles.

Figure 10
Figure 11

Patrick Ollier, président de la Métropole du Grand Paris synthétisait bien les débats et la façon dont on perçoit ces tissus aujourd’hui dans sa conclusion lors de la journée de présentation des travaux de l’APUR :

Le tissu pavillonnaire a plusieurs avantages. Il y a des avantages sur le plan environnemental et il faut le protéger parce que c’est au niveau de la qualité environnementale, de l’écologie, du paysage, mais surtout au niveau du changement climatique. Maintenant parce qu’on se trouve les deux pieds dans la mouise, on se dit, « mais pourquoi on n’a pas fait ça plus tôt ? » Et nous sommes une fois de plus — mea culpa — nous sommes irresponsables.

Cette vision amène à des prises de position tranchées en faveur de la préservation du statu quo pour les tissus pavillonnaires. Une dynamique déjà à l’œuvre avec des documents d’urbanisme qui, de plus en plus, mettent les secteurs qui constituent des gisements potentiels pour la densification douce des villes « sous cloche ». Par exemple, le règlement du PLUi la zone pavillonnaire de Plaine Commune affiche une volonté claire de limiter la densification et se traduit par un jeu de règles qui rends de-facto impossible les projets de densification douce.

Figure 12

Le PLUi de Bordeaux Métropole offre un autre exemple parlant de cette « mise sous cloche » avec 60% des zones pavillonnaires frappées d’interdiction de création de bandes d’accès pour desservir de nouvelles constructions en second rangs, interdisant la densification de l’existant en occupant l’espace des jardins.

Figure 13

5 Land sharing, densité, densification et renforcement de la biodiversité : méta-analyse de 13 travaux de recherche scientifique

Alors que la densification des villes apparaît comme le levier principal pour limiter notre impact global sur la biodiversité et que les jardins existants constituent notre ressource principale pour densifier, quels éléments justifient leur mise sous-cloche ? Les arguments avancés par les positions qui défendent un statu quo et la lutte contre la densification relèvent justement de la préservation de la biodiversité urbaine et de la lutte contre le changement climatique.

Afin d’objectiver le sujet de la relation entre densité, densification, biodiversité urbaine, nous avons procédé à une méta-analyse à partir d’un corpus de 13 travaux de recherche empirique, centrés sur les interactions densité-densification-biodiversité. Concernant la biodiversité, l’ensemble des travaux s’intéressent à ses dimensions spécifiques et fonctionnelles, la dimension génétique ne fait pas partie des critères retenus pour la constitution du panel. Celui-ci va au-delà de la seule ville occidentale européenne, mais exclut les études relatives aux milieux tropicaux.

Voilà les éléments saillants ressortant à l’issue de l’analyse de ces travaux :

5.1 La densification peut contribuer au renforcement de la biodiversité urbaine, notamment en augmentant le linéaire de haies. Varet et al. 2023, Knapp et al. 2012

Les travaux de Varet et al. et Knapp et al. nous apprennent que la densification peut contribuer au renforcement de la biodiversité urbaine, notamment en augmentant le linéaire de haies. La parcellisation issue de la densification renforce le linéaire de haie et crée une diversité de milieux, d’occupations et d’interfaces qui créent un potentiel d’hébergement pour une diversité d’espèces. En créant plus de limites séparatives entre les parcelles, on crée des linéaires support pour créer un bocage pavillonnaire. Dans la métropole de Rennes, Varet et son équipe ont étudié deux cohortes d’arthropodes considérés comme des bio-indicateurs en observant les compositions spécifiques et les populations dans des quartiers peu denses et dans des secteurs denses pour établir dans si la densité urbaine les impactait. Leur étude arrive à la conclusion que dans les secteurs qui ont été densifiés et qui ont permis une occupation humaine plus importante, les assemblages étaient similaires à ceux rencontrés dans des secteurs qui ne s’étaient pas densifiés.

We therefore conclude that urban consolidation, by permitting a higher human density with similar arthropod assemblages, could contribute to reduce biodiversity loss in cities.1

Figure 14
Figure 15
Figure 16

5.2 Les gabarits bâtis produits en densification douce sont adaptés à des toits terrasses plus résilients et utiles à la biodiversité en ville. Barra et al. 2021, MacIvor et al. 2016

Les études menées sur les toitures végétales par Barra et al. et Macivor et al. révèlent que le gabarit bâti (surface et hauteur) a un impact important quant à la capacité de ces aménagements à être support de biodiversité.

Dans leur étude sur des toitures en Île-de-France qui ont été conduites dans le cadre du projet GROOVES, Barra et al. ont découvert une corrélation négative entre la surface de la toiture et sa capacité à être support de biodiversité. Une des hypothèses des chercheurs est que les toitures de petites surfaces vont être plus souvent imbriquées dans des ensembles bâtis ou environnées d’éléments de végétation plus hauts qui vont les protéger du vent et de la sécheresse et ainsi mieux contribuer au maintien des espèces.

Figure 17

Macivor et son équipe ont pour leur part étudié l’impact de la hauteur des bâtiments accueillant des toitures végétalisées sur la biodiversité en analysant leur colonisation par les populations d’abeilles sauvages et de guêpes. Leurs travaux montrent que plus les toitures végétales sont situées en hauteur (avec un seuil limite identifié à quatre étages d’habitation maximum) et moins elles vont être utiles aux espèces, notamment pour y nicher.

Figure 18

5.3 La diversité de la palette végétale et la densité urbaine impactent positivement le processus de décomposition de la litière organique. Tresch et al. 2019

Les travaux de Tresch et al. sur l’étude empirique d’un corpus de 170 jardins urbains situés à Zurich nous apprennent que les processus de décomposition de la litière organique dans le sol des jardins sont impactés positivement :

  • D’une part par la diversité de la palette végétale présente dans les jardins ;
  • D’autre part par la densité urbaine : la compacité du bâti, en augmentant la température des sols permet une action optimale de la faune du sol dans son action de dégradation de la litière organique.
Figure 19

5.4 La richesse des flores présentes dans les jardins résidentiels augmente avec la densité urbaine. Knapp et al. 2012

Les travaux menés à Minneapolis par Knapp et son équipe sur l’évaluation de l’impact du gradient de densité urbaine sur la richesse des flores présentent dans les jardins ont démontré que le nombre d’espèces présentes dans les jardins résidentiels augmentait avec le gradient urbain. Il s’agit dans cette étude de flores spontanées évaluées comparativement celles rencontrées dans un milieu naturel de référence (Cedar Creek). Ces travaux aboutissent à un résultat contre-intuitif : il y a plus d’espèces par hectare dans les zones densément construites, et la diversité fonctionnelle de ces fleurs ne change pas avec la densité.

Figure 20
Figure 21

5.5 Même petits et fragmentés les jardins constituent une ressource clés pour certaines espèces en milieu urbain : le cas de la pipistrelle commune à Paris intra-muros. Mimet et al. 2020

À Paris intra-muros, Mimet et son équipe de chercheurs ont étudié l’impact des jardins privés sur les populations de pipistrelle commune. Leur hypothèse de départ était que les espaces verts publics contribuaient davantage à la constitution d’habitats que les jardins privés. Un regard sur ma carte de Paris nous laisse aisément comprendre pourquoi cette hypothèse leur semblait la plus évidente : avec une densité bâtie très forte réduisant les jardins privés à des surfaces difficilement perceptible au plan, il semblait évident que leur rôle au profit des populations de pipistrelles serait faible. Pourtant, les chercheurs se sont rendu compte que malgré leur faible proportion (36% des espaces verts de Paris intra-muros) et leur forte fragmentation, ils contribuent pour près de 50% à la disponibilité de l’habitat pour les chauves-souris, et diminuent la résistance à la matrice urbaine de 57%. Ces travaux nous révèlent que même fragmentés et de très petites dimensions les jardins privés peuvent avoir un impact positif sur la disponibilité d’habitat de certaines espèces, notamment parce qu’ils accueillent de nombreuses plantes spontanées et sont compatibles, de par leur dimension, avec des modes de gestions respectueux de la microfaune.

Figure 22
Figure 23
Figure 24
Figure 25

5.6 Les grands jardins ne sont pas davantage support à la biodiversité que les petits jardins. Hanson et al. 2021, Loram et al. 2008, Davies et al. 2009

Une des hypothèses les plus courantes est que la valeur d’un jardin en termes de biodiversité serait relative à sa taille : si le jardin est grand, il ferait « plus de place » à la nature. Cette hypothèse est contredite par les travaux de recherches mais reste largement diffusée et mérite qu’on s’y arrête. Dans leurs travaux sur l’étude d’un corpus de 32 jardins à Lund en Suède, Hanson et al. ont découvert que plus les jardins sont grands, plus ils sont occupés par des espaces de pelouses, pauvres en biodiversité. 86% de l’occupation du sol sur les grandes parcelles étudiées était occupée par des pelouses, contre à peine plus de la moitié pour les plus petits terrains. L’étude empirique du corpus de jardins ne permet pas de démontrer que les jardins les plus grands était plus favorable à la biodiversité »: si l’idée est vraie en théorie, elle se révèle fausse dans la pratique. On découvre dans cette étude un autre élément important »: la contrainte d’entretien est le premier facteur qui influence le choix de l’aménagement, et notamment l’utilisation de la pelouse, qui est une des surfaces les plus simples à entretenir.

Figure 26
Figure 27

Sur cette idée d’un rapport entre taille du jardin et intérêt pour la biodiversité, les travaux de Loram et al. sont régulièrement cités en omettant toutefois un détail d’importance dans la méthode employée par les chercheurs puisque ils n’étudient dans la surface de jardin que celles qui ne sont pas en pelouse. Mais il ne nous dit pas si les grands jardins sont plus souvent occupés par de la pelouse ou non.

Figure 28

À ce sujet le rapport de l’APUR de juin 2023 sur la ville pavillonnaire du Grand Paris, qui insistait sur l’intérêt majeur des jardins actuels en matière de lutte contre le réchauffement climatique et les phénomènes d’îlots de chaleur urbain, dressait un constat contradictoire en précisant que les surfaces des jardins actuels des tissus pavillonnaires étaient massivement occupées par des pelouses.

Les jardins des tissus pavillonnaires sont dominés par la présence de pelouses ou gazons. […] Il en résulte un milieu monospécifique, donc sans diversité, et donc un sol écologiquement pauvre inapte à stocker l’eau de ruissellement tout au long de l’année. La résistance des gazons aux épisodes caniculaires est ainsi très faible, les gazons nécessitent une alimentation continue en eau sinon ils dépérissent rapidement quand il fait chaud. Leur présence, en tant que milieu monospécifique, ne permet pas une valorisation optimale du cycle annuel de l’eau, pourtant capitale dans l’adaptation climatique.

Figure 29

Montfermeil en 2018, au mois de juillet : une année qui a été marquée par des températures élevées (28°C en moyenne avec une maximale à 36°C) et des précipitations importantes (119mm sur le mois). Comparé au mois de juillet 2020 : une année marquée par des températures équivalentes (26°C en moyenne avec une maximale à 37°C) mais avec de très faibles précipitations (20 mm sur le mois). L’état des pelouses parlent de lui-même : dans le contexte d’évolution climatique actuel ces surfaces ne sont d’aucune aide pour rendre la ville vivable et ne présentent aucun intérêt dans la lutte contre l’îlot de chaleur urbain.

5.7 L’action du jardinier, levier clé du renforcement de la biodiversité urbaine, est dépendante de l’adéquation des caractéristiques du jardin avec la capacité du jardinier. Threlfall et al. 2017, Mata et al. 2023, Tresch et al. 2019, Mimet et al. 2020, Loram et al. 2011, Tassin de Montaigu et al. 2024

De nombreux travaux de recherche, parmi lesquels ceux précités, mettent en exergue que le levier principal pour faire des jardins des espaces résilients et favorables à la biodiversité n’est autre que l’action du jardinier. Il ressort aussi que le facteur qui favorise une action des jardiniers favorable à la biodiversité tient à l’adéquation des caractéristiques du jardin (au premier rang desquels sa dimension) avec la capacité du jardinier. La dynamique dominante dans la relation du jardinier avec l’espace domestique du jardin est celle de chercher à rester en capacité de contrôle (ce que permet par exemple très facilement les espaces de pelouses plébiscitées dans les jardins de grandes dimensions)

Figure 30

Les travaux de Mata et al. illustrent de façon magistrale le pouvoir que possède le jardinier à travers ses choix d’aménagement et de maintenance pour la biodiversité en ville. L’équipe de chercheurs a étudié les effets sur la biodiversité spécifique et fonctionnelle d’une série d’actions simples de diversification de la palette végétale et d’application de modes de maintenance simplifiés sur une micro parcelle de 250 m² située en plein cœur urbain à Melbourne. Initialement occupée en quasi-totalité par une pelouse, son aménagement à été revu, avec la suppression de la pelouse la plantation d’espèces vivaces et arbustives qui ont été laissées à elles-mêmes, sans arrosage ni traitement. Un suivi sur 4 années (1 année avant modification des aménagements et 3 années après les actions de végétalisation) ont permis de multiplier par 7 la biodiversité supportée par cette parcelle, avec des populations végétales et d’insectes stabilisées et viables.

Figure 31
Figure 32
Figure 33
Figure 34
Figure 35

Delahay et al. 2 proposent dans leur méta-analyse une synthèse claire quant au choix et aux actions des jardiniers :

Si la richesse en espèces des jardins est largement déterminée par ce que les ménages sont capables et choisissent de planter, et si les plantes sont à la base de la contribution des jardins à la biodiversité urbaine, alors toute plantation est importante, quelle que soit la taille ou l’emplacement du jardin.

6 La densification douce : faire du land sparing et du land sharing une seule et même action

Activer le potentiel d’accueil de biodiversité des jardins urbain à l’occasion des projets de densification douce.

6.1 Évolution des jardins pavillonnaires sur 10 ans à Montfermeil : que se passe t’il sur les parcelles qui ne font pas l’objet de projets de densification ?

Une des idées diffusées au sujet de la densification est que cette dernière constituerait une menace pour la biodiversité en ville en réduisant la surface des jardins privés. Nous avons vu à travers les travaux de recherches précédents que cette lecture se fonde sur l’idée fausse que plus le jardin serait grand et plus il ferait de place à la nature. Or, nous avons vu qu’un des freins à la préservation et au renforcement de la biodiversité en ville est justement lié à une inadéquation entre la taille du jardin et la capacité des jardiniers à l’aménager et à l’entretenir de façon à lui donner une valeur pour la biodiversité urbaine. Une question reste toutefois en suspens dans les travaux de recherche pour infirmer ou confirmer l’existence d’une corrélation négative entre la taille du jardin et la capacité du jardinier à l’aménagement et le maintenir de façon à ce qu’il génère de la valeur pour la biodiversité urbaine : comment les jardins évoluent-ils si on ne les densifie pas ? Deviennent-ils, avec le temps, plus riches de biodiversité ? Pour étudier cette question nous avons mené une étude comparative sur l’usage dominant du sol des jardins d’un corpus de 335 parcelles composant quatre îlots dans deux quartiers de la commune de Montfermeil en Seine-Saint-Denis.

En comparant deux périodes à 10 ans d’intervalle (2013 et 2023), nous avons identifié que la part des parcelles dominées par les pelouses ainsi que celle dominées par un couvert arboré et arbustif est restée stable (autour de 70% en pelouse et 12% en couvert arboré ou arbustif) alors que la part des parcelles dominées par les surface minéralisées a connu une progression (passant de 11% en 2013 à 16% en 2023) et que les parcelles dominées par un usage potager ont fortement diminuées (passant de 9% en 2013 à 4% en 2023), les potagers ont été remplacés principalement par des espaces de pelouse et dans une moindre mesure par des espaces à dominante minérale.

Nous avons également croisé les pertes de couvert végétal avec le flux de transactions immobilières sur la période, pour analyser s’il y avait un lien de cause à effet, une tendance à faire « place nette » avec de nouveaux aménagements après une acquisition.

Figure 36
Figure 37
Figure 38
Figure 39

Si l’hypothèse se confirme dans certains cas, elle n’est pas dominante : quatre fois sur dix la perte de couvert végétal était liée à des réaménagements par les nouveaux propriétaires a la suite d’une transaction, six fois sur dix elle était due à l’action des propriétaires en place. Les tissus pavillonnaires de Montfermeil connaissant un vieillissement important de leur population, une hypothèse -qui resterait à confirmer par une étude empirique- est que de nombreux jardiniers qui avancent en âge choisissent de simplifier leurs aménagements avec davantage de pelouses et de surfaces minérales dans le but de réduire les contraintes d’entretien de leur jardin.

Figure 40

7 La première vertu des projets de densification douce : adapter la dimension du jardin à la capacité du jardinier.

Une de ses premières vertus de la densification pourrait être d’adapter le jardin à la capacité du jardinier, condition première pour rendre possible une pratique du jardin apte à créer de la valeur pour la biodiversité urbaine. Cette volonté de réduire la taille du jardin pour l’adapter à sa capacité d’entretien est d’ailleurs un des premiers motifs à l’origine des projets de densification douce. A Périgueux, dans le cadre du premier prototype d’opération BIMBY il a été possible de constater que cette composante, même si elle n’est pas forcément exclusive, joue un rôle clé dans la prise de décision de s’engager dans un projet de densification douce.

Figure 41

Un sondage Kantar Public de 2023 mené pour La Fabrique de la Cité dans le cadre d’une étude sur l’artificialisation des sol et l’avenir de la maison individuelle nous apprends que l’écrasante majorité des Français (91%) souhaite avoir un jardin et 8 sur 10 souhaitent vivre en maison individuelle. Il nous apprend aussi qu’une large majorité (72%) plébiscite les petits terrains : 37% du panel souhaitant une jardin de moins de 250 m2 et 35% un jardin d’une taille comprise entre 500 et 250 m2.

Figure 42: Figure 44 Source 1 & Source 2

Le jardin de Joseph Chauffret à Sotteville-les-Rouen est un cas d’étude exceptionnel pour illustrer la puissance d’action du jardinier pour la biodiversité et le lien de cause à effet entre la taille du jardin et la capacité du jardinier à le maintenir de façon respectueuse de l’environnement.
Ce jardin est situé dans un tissu ancien de lot libre dense sur une micro-parcelle de 255 m2 environ. Il occupe une surface de 150 m2, incluant la terrasse et les allées. Lorsque son actuel propriétaire acquiert la parcelle au début des années 2010, le jardin est loin d’être riche de biodiversité : on n’y trouve aucun arbre, les arbustes se limitent à des thuyas et des lauriers du Portugal taillés en topiaires géométriques, quelques hortensias et rosiers et un troène. Joseph Chauffret décide de transformer complètement ce jardin avec l’objectif de découvrir jusqu’où il est capable d’aller en terme d’autonomie alimentaire en empruntant l’approche de la permaculture. En 10 ans d’expérimentation, il a abouti à un exemple frappant du potentiel des petits jardins urbains en termes de biodiversité, mais aussi de simplification des actions de maintenance (en 2019 le jardinier indique passer moyenne 3 heures par semaine dans son jardin) et de productivité nourricière avec plus de 300 kg de légumes et fruits produit par an en moyenne.

Figure 43
Figure 44
Figure 45
Figure 46
Figure 47
Figure 48

Ce que Joseph Chauffert explique lorsqu’on lui demande quelles sont les clés de cette réussite : cette transformation n’a été possible que parce que son jardin était petit.

Une des clés pour augmenter la productivité du jardin (en permaculture), c’est de réaliser un travail très soigné, sur tout le jardin. Pour cela, il faut passer beaucoup de temps et ce n’est possible que parce que mon jardin est petit.

8 Pattern densification douce X biodiversité urbaine :

À partir du moment où la taille du jardin est adaptée à la capacité des jardiniers pour qu’ils développent une pratique du jardin plus intense, l’art des jardins regorge d’essence et de pratiques favorable à la biodiversité et qui gagnerait à être réinterprétée dans le cadre de la densification douce. Quelques exemples concrets pour les illustrer.

8.1 Le linéaire de nouvelles limites séparatives pour des haies urbaines vertueuses

L’utilisation d’essences végétales très plastiques et support d’une riche biodiversité comme le Lierre (Hedera helix L.) qui permet par exemple de créer sur des grillages rigides des haies très fine mais très denses.

Figure 49

La réinterprétation des pratiques issues du monde rural comme la conduite d’arbres têtards qui pourraient enrichir le « bocage pavillonnaire » en créant des milieux propices à la biodiversité tout permettant l’implantation d’arbres capable de fournir un ombrage dense tout en maîtrisant leur gabarit et leur croissance dans des environnement contraints en espace.

Figure 50

L’utilisation de haie vivantes en végétaux tressés, qui permettent une utilisation optimisée et raffinée du végétal pour séparer des espaces.

Figure 51

La création de haies sèches où l’accumulation de bois mort issu des résidus de taille des végétaux du jardin contribue d’une part à la gestion des déchets verts à la parcelle et d’autre part à la création de ressources pour la petite faune des jardins.

Figure 52

8.2 Le microclimat induit par le bâti au profit des plantations (les murs à fruits)

La densification douce invite également à utiliser le bâti et le microclimat qu’il crée au profit des cultures du jardin. La pratique des murs à fruits (comme les murs à pêches de Montreuil en Seine-Saint-Denis) et l’art de l’espalier permettent une optimisation très intéressante de l’espace au profit du végétal tout en faisant du bâti à la fois un support et un allié climatique pour permettre la culture de fruitiers notamment, avec de très bon niveau de productivité et une mise à fruits rapide.

Figure 53
Figure 54
Figure 55
Figure 56
Figure 57

8.3 La végétalisation des façades au profit de l’espace public

La densification invite également à engager des actions de plantation au profit de l’espace public. On trouvera à ce sujet un exemple très inspirant à Montpellier avec l’initiative de l’association Mare Nostrum. La mobilisant les propriétaires et habitants pour végétaliser les façades sur rue : en 10 ans le cadre de vie de la rue a été radicalement transformé, apportant un confort d’usage en période estivale et une valorisation globale du bâti.

Figure 58

8.4 Le végétal au service du confort des espaces de vie

Une étude hollandaise de 2023 3 revient sur l’ensemble des aménagements issus de l’art des jardins qui jouent un rôle dans les stratégies de confort climatique à l’échelle de la parcelle. Parmi les exemples, ceux qui procurent de l’ombre sont les plus représentés. Générer de l’ombrage avec le couvert végétal est la façon la plus efficace de limiter l’inconfort dû à la chaleur en milieu urbain.

Figure 59
Figure 60

Les toitures végétales peuvent également avoir un effet climatisant : situées à moins de 10 mètres du sol, elles peuvent générer un effet rafraîchissant perceptible par les piétons. Le projet de MJA studio architectes est un très bel exemple d’opération avec un toiture végétale en densification douce. Ce projet présente la particularité de comptabiliser les mêmes surfaces végétalisées avant et après densification.

Figure 61
Figure 62

La végétalisation des façades peut également avoir un impact sur le confort thermique : des travaux de l’école de l’université de Californie de Los Angeles on mesurés qu’une végétation en façade d’une épaisseur d’environ 3O cm d’épaisseur réduit la température du mur à la température ambiante, annulant l’accumulation de chaleur dû au rayonnement solaire, permettant de limiter les effets de mur chaud sur les expositions ouest et la restitution des calories la nuit en période de forte chaleur.

Figure 63
Figure 64

Notes de bas de page

  1. Marion Varet, Françoise Burel, Julien Pétillon, mars 2014, Can urban consolidation limit local biodiversity erosion? Responses from carabid beetle and spider assemblages in Western France, Urban Ecosystems, Volume 17, Issue 1, pp 123–137.↩︎

  2. Delahay, Richard J., D. Sherman, B. Soyalan, and K. J. Gaston. 2023. Biodiversity in Residential Gardens: A Review of the EvidenceBase. Biodiversity and Conservation 32 (13): 4155–79. https://doi.org/10.1007/s10531-023-02694-9.↩︎

  3. Michiel Bakx & Sanda Lenzholzer (2023) Historical vegetation for microclimate amelioration: a case study for The Netherlands, Landscape Research, 48:3, 412-426, DOI: 10.1080/01426397.2022.2161496↩︎

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Citation

BibTeX
@inproceedings{hanss2024,
  author = {Hanss, Thomas},
  publisher = {Sciences Po \& Villes Vivantes},
  title = {Epargner et partager : les deux clés qui peuvent faire de la
    densification douce un outil au service du renforcement de la
    biodiversité},
  date = {2024-01-19},
  url = {https://papers.organiccities.co/epargner-et-partager-les-deux-cles-qui-peuvent-faire-de-la-densification-douce-un-outil-au-service-du-renforcement-de-la-biodiversite.html},
  langid = {fr}
}
Veuillez citer ce travail comme suit :
Hanss, T. (2024, January 19). Epargner et partager : les deux clés qui peuvent faire de la densification douce un outil au service du renforcement de la biodiversité. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/epargner-et-partager-les-deux-cles-qui-peuvent-faire-de-la-densification-douce-un-outil-au-service-du-renforcement-de-la-biodiversite.html