La mobilité résidentielle et l’augmentation du coût du logement : quelle démographie future pour les 1ères et 2èmes couronnes de Paris ?

Retranscription de la conférence du 18 janvier 2024 à l’Institut de France (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

Institut Paris Région

Date de publication

18 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

Je vais vous parler des effets de captation du parc, et du parc francilien en l’occurrence, puisque je travaille à l’Institut Paris Région où l’on travaille à l’échelle de l’Île-de-France.

Je suis démographe et ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce sont les questions qui relient la démographie avec l’évolution de la construction et, plus particulièrement, les effets de captation qui peuvent rejaillir sur le parc dans son ensemble et plus précisément sur la construction.

1 Le cas de la démographie francilienne

Figure 1

Pour revenir rapidement sur le schéma démographique global de l’Île-de-France, celle-ci compte un peu plus de 12 millions d’habitants au 1er janvier 2023 et affiche une croissance démographique relativement stable depuis 40 ans. On y compte environ 50 à 60’000 personnes de plus chaque année. Toutefois, le poids que représente l’Île-de-France par rapport à l’ensemble du territoire national est assez stable : depuis une cinquantaine d’années, un peu moins de 20% de la population nationale réside dans la région capitale. Cette population s’est fortement accrue ; environ 600’000 habitants supplémentaires en 10 ans et cette population croît à travers les trois ressorts démographiques que sont la natalité, les décès — ce qui nous donne, par différence, l’accroissement naturel — et les échanges migratoires avec le reste du pays d’une part et le reste du monde d’autre part. Dans le cas de l’Île-de-France, l’excédent naturel est relativement élevé comparativement aux autres régions françaises. Les échanges migratoires avec le reste du pays sont, quant à eux, négatifs et le sont de plus en plus tandis que les échanges avec le reste du monde sont positifs et le sont de plus en plus ces dernières années.

Figure 2

Vous trouverez ci-dessus des données qui concernent ces dernières années : plus 80’000 naissances par rapport aux décès. On a ainsi un solde naturel qui est assez dynamique en Île-de-France, des échanges migratoires avec le reste du pays qui sont de -95’000, et ce solde se creuse, et un solde migratoire avec le reste du monde de +50’000 personnes (ce dernier chiffre est une estimation).

Figure 3

Nous en parlions tout à l’heure : la baisse de la natalité a fait grand bruit ces derniers jours. En Île-de-France, cette baisse est un peu moins importante qu’ailleurs en France, puisque comme vous le voyez sur le graphique, la natalité ne permet plus, ailleurs en France, de compenser la hausse des décès. Cette hausse des décès est, en tout cas en France et en Île-de-France, liée au ralentissement de la hausse de l’espérance de vie depuis le milieu des années 2010, au vieillissement des générations du baby-boom qui arrivent aux âges les plus avancés et, en parallèle, évidemment, ces toutes dernières années, à la hausse des décès liée au COVID. En Île-de-France, on a réussi à limiter cette baisse parce que la natalité se porte assez bien, la population y reste jeune.

Figure 4

Voici un panorama du solde naturel par département en France. On voit à gauche des chiffres pour 2006 : plus de 80% des départements français ont un solde naturel positif. On aperçoit une poche bleue au centre de la France : ce sont, à l’inverse, les départements où les décès sont plus importants que les naissances. Sur la même carte en 2022, à droite de l’écran, on voit que le nombre de départements où les décès sont plus importants que les naissances a explosé. À cette date, on n’a plus que 30% des départements qui affichent un solde naturel positif. Cela se traduit géographiquement par des poches principalement situées autour des grandes métropoles : on y voit Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Marseille, etc… et l’Île-de-France qui maintient sa natalité, même si en parallèle on observe un nombre de décès qui augmente.

Figure 5

Zoomons encore peu en Île-de-France et là, on observe l’évolution de la natalité entre 2021 et 2023 par département qui est comparé à celle de 2020. On note véritablement une accélération du phénomène de baisse des naissances sur les dernières années. Vous voyez qu’à Paris, par exemple, le nombre de naissances a diminué de 18% par rapport à 2020. À l’échelle de la France, cette évolution est aussi à la baisse, mais s’est limitée à -9 % et à -9,5% en Île-de-France. Il y a aussi des différences qui s’expriment au sein de l’Île-de-France. Ainsi, en petite couronne, nous avons des naissances qui diminuent d’année en année tandis qu’en grande couronne, la baisse du nombre de naissances est plus tardive et ne s’amorce qu’à partir de 2023.

Figure 6

Le croisement de tous ces paramètres que sont la mortalité, la natalité ou encore les migrations se traduit géographiquement et localement en Île-de-France par des évolutions contrastées. Vous pouvez observer ici la variation annuelle de la population en Île-de-France il y a un certain nombre d’années, entre 1975 et 1990 avec, en vert, les territoires qui ont perdu de la population et en rouge les territoires qui en ont gagné. Ce que l’on observe, c’est évidemment le lien avec les politiques d’aménagement locales. Nous avons des poches de croissance démographique autour des villes nouvelles, dans une période qui s’est caractérisée par une dédensification de la région capitale, où la population de Paris diminue et le cœur d’agglomération — c’est-à-dire les communes qui se situent à moins de 20 kilomètres — croît mais relativement faiblement.

Figure 7

Pour la période 1990 à 2009, un autre phénomène apparaît : celui du recentrage de la croissance démographique. Vous voyez que les villes nouvelles captent encore de la croissance de population, mais cette dernière se recentre fortement. Nous remarquons même que la population de Paris augmente au cours de cette période et que celle des villes nouvelles concentre environ 14% de la croissance totale. C’est vraiment le cœur de l’agglomération, donc les communes qui sont à moins de 20 kilomètres de Notre-Dame, qui croit et qui capte 45% de la croissance démographique totale de l’Île-de-France.

Figure 8

Sur les dernières décennies, ce recentrage s’accélère encore plus. Il s’agit d’une réelle densification de la population au cœur de l’agglomération qui se traduit par un accroissement de la captation du centre. Ainsi, c’est 65% de la croissance démographique de l’Île-de-France qui se situe à moins de 20 kilomètres de Notre-Dame. La population parisienne s’oriente en revanche à nouveau vers une déprise démographique.

2 Géographie de la construction

Figure 9

Pour mettre tout cela en parallèle avec la construction de logements, nous pouvons observer ici l’évolution des mises en chantier, c’est-à-dire les logements commencés en Île-de-France depuis 20 ans, qui sont mis en comparaison avec ceux que l’on observe à l’échelle de la France. Ce que l’on observe, en courbe verte pour l’Île-de-France, c’est la relative atonie dans laquelle se trouve la construction francilienne pendant la décennie 2000. Face à ce constat, le législateur a mis en place dans la loi Grand Paris une règle demandant la construction de 70’000 logements chaque année. De nombreux efforts ont été faits. Cet objectif a notamment été intégré dans le SDRIF en 2013, ce qui a permis d’atteindre les objectifs de construction à partir de 2017. Ainsi, de 2017 à 2020 environ, on a construit un peu plus de 70’000 logements chaque année. Cette forte dynamique de construction va se ralentir ces dernières années, tout particulièrement l’année avant les élections municipales. On voit alors que le rythme de construction se tasse. Ce n’est pas qu’un phénomène francilien : cela s’observe un peu partout et, évidemment, la crise sanitaire a accentué ce phénomène.

Figure 10

Nous pouvons également nous interroger sur la répartition de la construction ces 20 dernières années. Qu’est-ce qui a changé durant cette période en Île-de-France ? Nous observons, ici, la comparaison de la construction entre les deux décennies par départements franciliens. Pendant la première décennie, la construction était avant tout portée par la grande couronne et il y a eu un changement de paradigme total qui s’est opéré avec la deuxième décennie. C’est dorénavant la petite couronne qui porte principalement la construction. En Seine-Saint-Denis — où la construction a progressé et même doublé — et dans les Hauts-de-Seine, on compte 61% de mises en chantier supplémentaires par rapport à la décennie précédente. La Seine-et-Marne reste un territoire de forte construction en Île-de-France : elle représente environ 13% de la construction actuellement, mais elle perd sa place de premier département bâtisseur observé au cours de la décennie 2000.

Il y a donc une concentration de la construction vers le cœur de l’agglomération parisienne qui est en lien avec la concentration de la croissance démographique et à l’échelle communale, c’est d’autant plus visible que la concentration de la construction se maintient.

Figure 11

Le même phénomène s’observe à l’échelle des intercommunalités. Ici, vous constatez que 10 intercommunalités en Île-de-France concentrent la moitié des autorisations de construction au cours de la dernière décennie. À l’échelle communale, c’est encore plus flagrant : 20 communes (sur 1’267) concentrent 20% de la construction. Les territoires où l’on construit sont donc concentrés. Évidemment, Paris se distingue à cause du volume qui y est très important ; le reste se situe principalement en petite couronne même si l’intercommunalité de Paris-Saclay, qui est située en grande couronne, se détache également.

Figure 12

Maintenant que nous avons fait ce lien, nous pouvons nous interroger sur l’efficacité de cette construction d’un point de vue démographique. Ci-dessus, nous croisons le nombre de logements qui ont été construits en plus et les ménages supplémentaires qui ont pu être logés dans les intercommunalités d’Île-de-France. La taille des ronds correspond à la variation du nombre de logements inoccupés. Par logements inoccupés, on entend ici les résidences secondaires, logements occasionnels et les logements vacants.

La courbe rouge montre ce qui se serait passé si chaque logement supplémentaire que l’on a recensé s’était traduit par un ménage supplémentaire en Île-de-France. Vous voyez que ce n’est évidemment pas parfaitement linéaire et plus la population des territoires augmente, plus on s’éloigne de cette courbe. Cela montre que dans ces territoires-là, en rose, et également à Paris, on a eu beau construire, la captation par le parc inoccupé a réduit l’efficacité de la construction.

Figure 13

Dès lors, quel impact sur les ménages et notamment sur les jeunes ménages de la région ? Nous avons parlé de natalité, mais nous pouvons évoquer maintenant les migrations. On sait que le cœur de la métropole parisienne est particulièrement attractif pour les jeunes.

Figure 14

Ci-dessus, les profils des ménages qui entrent et qui sortent d’Île-de-France. La région est particulièrement attractive pour les étudiants comme pour les jeunes actifs qui vivent seuls ou en couple. Ceux qui ont tendance à partir sont plutôt les ménages avec enfants et les retraités.

Or, les départs sont plus nombreux que les arrivées. Mais pour qu’il y ait de l’attractivité, nous avons besoin de logement et le parc locatif privé est particulièrement tendu, surtout en ce moment. Ce parc est néanmoins indispensable car c’est lui qui permet à de nombreuses personnes de s’installer en Île-de-France : c’est dans ce parc que 75% des ménages arrivant de l’étranger et 78% de ceux arrivés de province trouvent à se loger et la moitié des ménages ayant emménagé en Île-de-France l’année précédente vit dans ce parc privé. Cela amène à considérer que si une part croissante de la construction des nouveaux logements est inoccupée, c’est parce qu’elle ne sert pas à loger des franciliens et des franciliennes à l’année, ce qui peut amener à gripper les parcours résidentiels, notamment des plus jeunes.

Figure 15

Or nous l’avons vu, la dynamique démographique de l’Île-de-France est tenue par la jeunesse de la population, qui est entraînée par l’immigration. Si l’on ne met pas à disposition ce parc pour les populations les plus jeunes, les parcours résidentiels vont se gripper, et notamment pour les jeunes qui peinent à trouver leur indépendance. Nous parlions tout à l’heure de la décohabitation.

Figure 16

Sur cette carte, vous avez quelques chiffres à ce propos : notamment, la part des familles avec des enfants de 25-34 ans en 2016 en Île-de-France ainsi que des courbes indiquant les différents âges au moment de la décohabitation. Nous comparons l’Île-de-France et le reste de la France hexagonale, ainsi que la Seine-Saint-Denis qui est un cas un peu particulier où l’on observe un décalage entre 2006 et 2017 de l’âge à la décohabitation. Ce décalage est relativement faible dans le reste de la France hexagonale, en revanche en Île-de-France, il progresse fortement et notamment en Seine-Saint-Denis : il y a plus d’un an et demi de décalage entre l’âge auquel décohabitaient les jeunes en 2006 et l’âge auquel ils décohabitent dix ans plus tard. Évidemment le logement n’est pas la seule explication. On a également les problématiques d’entrée sur le marché du travail, la cherté du parc, etc… et ce décalage de l’âge à la décohabitation se fait particulièrement prégnant dans les territoires qui sont les plus modestes, là où le parc social est le plus important.

Figure 17

Naturellement, des jeunes qui sont concernés par ces questions de parcours résidentiels peuvent être particulièrement freinés par l’indisponibilité du parc mais ce phénomène touche tous les ménages. Ci-dessus, une carte de la suroccupation des logements en Île-de-France : en 2018, quasiment un ménage sur cinq se trouvait en situation de suroccupation modérée ou accentuée et le nombre de ménages qui sont en suroccupation a fortement progressé au cours des 20 dernières années. On peut imaginer que la hausse des taux d’emprunt immobilier et l’indisponibilité d’une partie grandissante du parc viendront accroître le nombre et la proportion de ménages contraints à la suroccupation.

Réutilisation

Citation

BibTeX
@inproceedings{de andrade2024,
  author = {de Andrade, Noémie},
  publisher = {Sciences Po \& Villes Vivantes},
  title = {La mobilité résidentielle et l’augmentation du coût du
    logement : quelle démographie future pour les 1ères et 2èmes
    couronnes de Paris\,?},
  date = {2024-01-18},
  url = {https://papers.organiccities.co/la-mobilite-residentielle-et-l-augmentation-du-cout-du-logement-quelle-demographie-future-pour-les-1eres-et-2emes-couronnes-de-paris.html},
  langid = {fr}
}
Veuillez citer ce travail comme suit :
de Andrade, N. (2024, January 18). La mobilité résidentielle et l’augmentation du coût du logement : quelle démographie future pour les 1ères et 2èmes couronnes de Paris ? . Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/la-mobilite-residentielle-et-l-augmentation-du-cout-du-logement-quelle-demographie-future-pour-les-1eres-et-2emes-couronnes-de-paris.html