Les grandes villes et l’accès aux opportunités professionnelles

Retranscription de la conférence du 18 janvier 2024 à l’Institut de France (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

OFCE

Date de publication

18 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

C’est connu : l’urbanisation c’est un très vieux phénomène qui a commencé il y a plusieurs milliers d’années et qui continue aujourd’hui. Il y a une grande diversité dans le monde : l’urbanisation dans les pays en développement n’est pas celle des pays développés, l’urbanisation en France n’est pas celle d’autres pays. David Miet l’a dit mais, quoi qu’on ait pu en douter, notamment lors de l’épisode du COVID, le phénomène de métropolisation reste quelque chose de trés important.

Au-delà, dans un monde soumis au changement climatique et dans lequel il faut réduire notre empreinte planétaire, la question qui se pose est de savoir si l’urbanisation est une réponse au monde à venir. On pourrait porter le diagnostic que l’urbanisation, le développement économique qu’elle permet est la source du dépassement des limites de la planète. Les modes de vie sobre semblent être ceux qui sont loin du tumulte de l’hyperconsommation et sont plus associé à la ruralité qu’aux métropoles.

On peut répondre que le respect des limites planétaires n’est pas dans le retour vers un « arrière » — qui n’a jamais vraiment existé et qui n’est pas un « possible » — et qu’au contraire, c’est là où s’est inventée la société d’aujourd’hui, que peut se construire celle de demain. La sobriété n’est pas « moins de la société d’aujourd’hui », c’est une nouvelle société à construire qui aura comme objet le respect des limites de la planète et plus simplement la satisfaction des besoins matériels.

1 Les villes peuvent-elles répondre aux exigences du monde à venir ?

Donc : pourquoi les villes ? Répondre à cette simple question, c’est à la fois constater que les villes sont un phénomène qu’on ne peut pas arrêter et qui se produit pour des raisons très fortes. Et puis que les villes sont aussi l’endroit dans lequel on va réinventer le monde. Donc, c’est à la fois un champ d’expérimentation, un terrain d’innovation, mais c’est aussi un champ de bataille, parce que c’est là aussi que beaucoup d’oppositions, de contradictions, beaucoup de problèmes et de conflits vont se révéler.

Magali Talandier citait un de ces problèmes qui est extrêmement important à mes yeux. On pourrait voir les villes comme un lieu de développement économique, c’est-à-dire de richesse. Mais les villes ne sont pas qu’un lieu de production de richesses, elles sont aussi un lieu de diversités et donc d’inégalités économiques, un lieu dans lequel des gens moins riches, des pauvres, viennent chercher un revenu, parfois dans des conditions difficiles qu’on ne peut pas ignorer. On ne peut pas invisibiliser ce phénomène. On peut parfois le déplorer et on peut s’attacher à vouloir le réparer.

2 Les villes à l’heure du changement climatique

Les villes sont aussi un lieu dans lequel toute la question de l’adaptation au changement climatique va se poser.

On parle ainsi des bulles de chaleur. Or, si on mesure et si on comprend relativement bien les bulles de chaleur à l’extérieur, dans les villes, on n’a que peu de connaissance de ce qui se passe dans les immeubles et sous les toits. Suivant les étages, il peut exister des situations d’hyperthermie, l’été, invivables, au sens propre et direct. L’ampleur du chantier est d’autant plus grande que nombreux sont les habitants des villes.

Les villes sont aussi le lieu de l’activité économique. C’est ainsi le lieu de production, un maillon de la chaîne de valeur incontournable, de tout ce qu’il faut mobiliser pour faire la production. C’est aussi la possibilité de l’accès aux services publics et privés, aux biens de consommation. Ce que nous a montré Jean Coldefy de façon très éloquente est que la ville est l’endroit de la consommation.

La bi-activité au sein des ménages renforce l’attractivité des villes et plus particulièrement des grandes villes : elles ouvrent le potentiel de vivre au même endroit et d’accéder à des emplois différents tout au long d’une carrière.

Les villes attirent, fascinent, intriguent et il est difficile d’imaginer un mode de vie sans elles. On ne peut pas y échapper, d’une certaine manière, mais nous pouvons réinventer les villes. L’éditeur de la revue scientifique Nature, Springer, vient de lancer une nouvelle série Nature Cities. Le propos est ambitieux, ouvert à de nombreuses disciplines et sans tabou. Parce que si les villes sont inévitables, c’est là que le changement doit se produire dans toutes les dimensions possibles.

3 Des unités urbaines qui continuent de croître

Figure 1

Le graphique ci-dessus reporte, pour les plus grandes aires urbaines françaises, les évolutions de la population. Le graphique commence avec le recensement de 1968 et chaque point correspond à un recensement jusqu’en 2021. On identifie une bosse dans les années 1970. Ces taux de croissance atteignaient dans la plupart des unités urbaines des taux de croissance supérieurs à 1%, voire supérieurs à 2%, voire pour certaines — par exemple Toulouse et Grenoble — supérieurs à 3%. Après cette phase de croissance forte, on peut constater que la croissance urbaine continue.

4 L’urbanisation continue en France

Figure 2

Dans les 16 villes qui sont dans ce panneau, il y en a une seule qui est en légère décroissance, c’est l’unité urbaine de Douai-Lens, dans le nord de la France. Comme l’indique le tableau suivant, qui regroupe les aires urbaines par taille, on peut comprendre comment se structure la façon d’habiter en France.

14 millions de gens qui vivent hors unité urbaine, c’est une proportion importante des choix de résidence et ce ne sont pas seulement des gens contraints par leurs activités professionnelles. Si la ville est le modèle dominant, elle n’est pas le modèle exclusif. Les villes de petite taille (moins de 100’000 habitants) sont le lieu de résidence de plus de 20 millions de français. Cependant, ce modèle qui a été très dynamique tend relativement à se tasser. Le dynamisme récent des métropoles intermédiaires, lieu de résidence de plus de 20 millions d’habitants, c’est-à-dire plus petites que celle de Paris. C’est aujourd’hui là où la croissance est la plus forte  elle y est plus rapide que celle de la population en général.

Ainsi, le métropolisation continue à se produire. Elle se produit à un rythme qui est différent du passé et avec un poids plus important des métropoles intermédiaires. Les dynamiques se produisent à des rythmes assez faibles (un demi-point de croissance par an), mais leur cumul sur plusieurs décennies indique des changements profonds et des besoins d’aménagement, en particulier dans les métropoles en croissance. Si on en doutait, la métropolisation ne pourra pas se produire sans accompagnement et ce changement est une opportunité pour l’orienter vers la sobriété.

5 Analyse de l’étalement urbain à partir des données de recensement et de la mobilité professionnelle

Dans le cadre du travail de la future Chaire Dynamiques Urbaines à l’École Urbaine de Sciences Po, nous allons proposer des éléments quantitatifs pour essayer de comprendre les dynamiques urbaines et de les documenter à différents niveaux de granularité.

Figure 3

Le tableau reproduit ici montre le nombre de kilomètres moyens qu’un actif dans une unité urbaine parcourt et l’évolution sur 10 ans. Ces chiffres sont calculés à partir des données de mobilité issues du recensement. Cette mesure permet d’aborder la question de l’étalement, non pas par la consommation des sols, mais par l’extension — ou la contraction — des distances parcoures. Il y a une certaine homogénéité entre les aires urbaines dans les kilomètres parcourus ; la médiane est d’à peu près 8 kilomètres et les grandes unités urbaines comme Paris, Toulouse, Marseille se situent dans un mouchoir de poche. Quelques villes ont des distances plus basses, comme Nice, Clermont-Ferrand ou Strasbourg. D’autres, au contraire, affichent des distances plus grandes que la médiane, traduisant parfois une géographie spécifique. Mais la colonne indiquant la variation du nombre moyen de kilomètres au cours des dix dernières années montre que la plupart des grandes aires urbaines sont en expansion et, dans ces villes, le nombre de kilomètres parcourus par les actifs augmente. Cela traduit un étalement urbain.

On peut aussi examiner la question des kilomètres parcourus pour servir les emplois en inversant le point de vue. Cette approche permet de dépasser la notion d’aire urbaine, qui est en partie arbitraire et d’intégrer les déplacements nécessaires pour occuper les emplois et qui peuvent provenir d’au-delà des limites habituelle de l’agglomération. Le diagnostic est confirmé et les disparités entre villes sont assez grandes.

Cette approche doit être complétée pour intégrer en particulier l’impact des systèmes de transports en commun (TC). Un kilomètre parcouru en voiture ou en TC n’ont pas le même contenu en CO2.

Ces éléments illustrent la dynamique des métropoles et son volet mobilité. L’expansion s’accompagne d’un étalement plus important.

6 Vers une autre définition de l’accessibilité

Illustrons le besoin d’entrer dans le détail et les nuances que l’on peut apporter au rôle des villes dans l’accès à l’emploi. Définissons l’accessibilité à l’emploi comme le temps minimal, en transport en commun sur les graphiques, pour accéder à au moins 50’000 ou 250’000 emplois. Le principe de construction suppose la mobilisation de données denses. Il faut localiser les résidents (ici au carreau 200 mètres), les emplois (à la même résolution) ainsi que les temps de parcours entre chaque paire de résidence et d’emplois) en utilisant les informations disponibles sur les réseaux de transport. À l’échelle de l’agglomération de Paris, cela représente plusieurs milliards de paires pour construire les isochrones.

Figure 4

Chaque point sur la carte signale par une couleur le temps pour accéder à deux seuils d’emplois. Logiquement, le centre de Paris est en vert avec des temps de parcours inférieurs à 20 minutes. La densité du réseau de transport se combine à une densité d’emploi record pour produire un accès très rapide à de nombreuses opportunités.

Mais le plus frappant n’est pas le centre de Paris mais la comparaison entre la périphérie (la première couronne) et le centre des aires urbaines de Lyon ou d’Aix-Marseille. L’agglomération Parisienne est une formidable machine à mettre en relation résident et emploi. En moins de 45 minutes, dans l’agglomération parisienne, plus de 7 millions de personnes accèdent à au moins 250’000 emplois. À Lyon, c’est seulement un peu plus de 800’000 personnes et moins de 300’000 à Aix-Marseille.

Ces différences d’attractivités sont massives. Elles se retrouvent dans les prix de l’immobilier. Là où l’accessibilité est comparable, les prix de l’immobilier sont comparables. S’il y a à Paris des prix très élevés, c’est dans des lieux où l’accessibilité aux emplois est sans commune mesure avec d’autres métropoles françaises.

Les villes sont au cœur de la problématique de l’emploi, des modes de vie. Leur capacité d’attraction est grande, comme en témoigne la dynamique récente. Pour des villes plus sobres, il faut intégrer les questions d’aménagement pour continuer à faire jouer aux villes leur rôle central dans la production et la consommation, mais en respectant les limites planétaires.

Réutilisation

Citation

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Veuillez citer ce travail comme suit :
Timbeau, X. (2024, January 18). Les grandes villes et l’accès aux opportunités professionnelles. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/les-grandes-villes-et-l-acces-aux-opportunites-professionnelles.html