Pourquoi est-ce que l’intensification urbaine est la solution ? Les bénéfices métropolitains de la compacité, de la polycentralité et de la densité dans les pays de l’OCDE

Retranscription de la conférence du 19 janvier 2024 à Sciences Po (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

Aix Marseille Métropole

Date de publication

19 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

Pour préparer mon intervention, j’ai fouillé dans mes archives, j’ai réactivé mes connaissances sur le sujet et organisé mes idées. Je propose de prendre un peu d’épaisseur de temps, tout en réactualisant ce que j’ai pu traiter dans le passé. C’est mon apport à titre intellectuel, personnel, professionnel, que je vais partager.

1 L’intensification urbaine : deux ou trois choses que l’on sait d’elle

Mon approche combine donc une dimension scientifique et une autre en tant qu’acteur sur le terrain. Nous allons ainsi embrasser beaucoup d’aspects de la question et peut-être mettre en cohérence ce que divers intervenants ont présenté par bribes ou pans pendant le colloque.

Figure 1

Juste pour replacer mes productions sur la durée longue de transformation des territoires, du passage de l’idée à la connaissance, de la connaissance à l’action, on peut évoquer quelques publications :

  • 1992, un de mes premiers articles, pour une densification des zones d’activités économiques, c’était il y a 30 ans. J’étais un peu seul sur le sujet à l’époque et ce n’est que très récemment que ce thème est venu sur le devant de la scène.

  • Et puis en 1994, une autre publication dans laquelle on retrouve beaucoup de schémas qu’on voit maintenant encore dans des publications récentes (parfois réinterprétés, mais sans les sources…), exploitant un colloque international que j’avais organisé à Hongkong.

  • J’ai ensuite fait une thèse de 750 pages sur la densification urbaine, soutenue en 1997.

  • J’ai écrit dès 1998 qu’il fallait fixer des planchers de densité, pas seulement des maximums de densité, parce que les enjeux du développement durable devaient nous y guider.

Figure 2
  • J’ai publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles, dont un — en 1996 — critiquait de manière très virulente ce que l’État faisait dans sa planification de la région Île-de-France et où je proposais un autre modèle de développement, plus dense. Il se trouve que, 10 ans après, j’ai pu être à la manœuvre pour piloter techniquement le schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) dans les versions 2007 et 2013, pour y insuffler mes idées.
Figure 3
  • Le SDRIF a été accompagné, une fois voté, de guides à l’action, dont celui sur Comment encourager l’intensification urbaine (2009).

  • J’ai conduit diverses comparaisons internationales pour trouver des sources d’inspiration, en particulier à Hongkong, aux Pays-Bas, en Angleterre… À noter également tout un travail avec l’OCDE, une somme sur l’évaluation mondiale des politiques de la ville compacte en 2012.

  • Plus récemment, sur Aix-Marseille-Provence, on a commencé à poser les jalons pour un développement urbain plus intense.

Ce rappel nous indique que le sujet n’est pas nouveau, qu’il évolue et qu’il prend une actualité renouvelée. On ne part pas de rien et il ne faut pas être amnésique, tout en adaptant toujours le propos à des enjeux qu’on éclaire aujourd’hui différemment.

2 Définir et mesurer

Figure 4

Pour aborder le sujet, il faut évidemment commencer par définir et mesurer la densification et l’intensification.

  • La densité est une quantité sur une surface ; on peut la décliner de multiples manières et il s’agit surtout de bien préciser comment. Il y a un critère que j’ai beaucoup utilisé, notamment pour le schéma directeur de la région Île-de-France : la densité humaine nette (Nombre d’habitants + Nombre d’emplois par hectare urbain). Quand vous faites de la planification, c’est une mesure extrêmement intéressante, parce qu’elle permet de traiter la grande échelle et la petite échelle en les articulant. Mais il y a beaucoup d’autres mesures, chacune pertinente selon la finalité et l’échelle retenue : le coefficient d’occupation du sol, la densité de population, etc.

  • Densifier, c’est ajouter une quantité sur une même surface, mais cela peut aussi passer par réduction de la surface pour une même quantité. Ce sont déjà deux possibilités, d’ailleurs cumulables entre elles…

  • L’intensification introduit quant à elle une autre précision : on peut densifier par ajout de construction et on peut densifier par un meilleur usage du bâti existant. L’intensification qui combine ces deux voies permet de révéler des gisements absolument intéressants à traiter maintenant. Il faut souligner que le meilleur usage du bâti existant permet d’agir vite, sans grands à-coups, donc d’atteindre des objectifs de densification sans construire plus.

Figure 5

Trois petits schémas viennent illustrer que la densité ne doit pas être confondue avec telle ou telle forme urbaine. Ils figuraient dans ma première publication de 1994 et ont connu un succès international (on les trouve par exemple dans un des rapports du GIEC). Ils passent selon moi un message extrêmement fort : une même densité peut correspondre à des formes urbaines ou architecturales très différentes. Ne confondons donc pas la densité et la hauteur : la hauteur n’est pas un sujet de densité, c’est un sujet de forme.

Figure 6

On dit toujours que les grands ensembles sont très denses, certainement du fait de la hauteur de leurs immeubles, mais les grands ensembles ne sont pas plus denses que bien des quartiers. Certes, ils sont généralement plus denses que le pavillonnaire… Ce sont les opérations urbaines contemporaines, voire même les quartiers haussmanniens qui sont les plus denses. Donc, là aussi, les images mentales sont parfois trompeuses sur ce qu’est la densité et ce qu’elle n’est pas. Clairement, la pédagogie est nécessaire pour ne pas se tromper de débat.

Figure 7

Alors, et tout le monde en a maintenant bien conscience, préserver les espaces agricoles et naturels, c’est évidemment important. On croit souvent que ce sont les métropoles qui consomment le plus d’espace ; oui elles consomment de l’espace, mais, par habitant, elles sont beaucoup moins consommatrices d’espace que les secteurs moins densément peuplés (villes moyennes ou espaces ruraux). J’ai publié sur ce sujet un article, dans la version numérique de la revue Urbanisme, sur l’impact environnemental des métropoles avec les données de l’OCDE. En fait, je coupe le monde de l’OCDE en deux parties, les aires métropolitaines de plus de 500 000 habitants, et le reste du territoire :

  • Il apparaît nettement que les aires métropolitaines sont beaucoup plus denses et qu’elles préservent les espaces agricoles plus que tout le reste des territoires, que ce soit en France, en Europe ou dans les pays de l’OCDE.

  • En tendanciel, c’est encore plus vrai.

Figure 8
  • Les espaces de petites villes, de villes moyennes, d’espaces ruraux, en termes d’évolution des mètres carrés urbanisés par habitant, sont comparativement (à population égale) beaucoup plus consommateurs d’espace.
Figure 9

Si on veut préserver les espaces naturels et agricoles, pensons que ce n’est pas par le développement des territoires les moins denses ou les plus faiblement urbanisés qu’on va y arriver. Le zéro artificialisation nette, introduit dans la loi, nous donne une direction. Ce qui est intéressant, et peut-être qu’on ne l’a pas bien perçu ici en France, c’est que le découplage entre consommation d’espace et constructions nouvelles est déjà amorcé, et c’est ce que nous cherchons tous.

Figure 10

Depuis les années 2010 en France, les chiffres du CEREMA sont explicites : on consomme toujours de l’espace, mais, par rapport à ce qu’y est construit dessus, on en consomme de moins en moins. La tendance va plutôt dans le bon sens, simplement elle ne va peut-être pas assez vite et pas assez fort.

3 Penser la proximité : quel lien entre mobilité et densité ?

Il y a une notion sur laquelle je souhaite insister, parce que nous ne l’avons pas beaucoup entendu durant ce colloque : c’est la notion de proximité, qui renvoie au lien entre mobilité et densité.

Figure 11

J’ai été inspiré au début de mes réflexions, il y a trente ans, par les recherches de deux Australiens, Newman et Kenworthy, que j’avais rencontrés à Hong Kong, quand j’y travaillais. Cela m’avait vraiment intéressé, et j’en ai fait le point de départ de ma thèse. Leur courbe (qui date de 1989), que j’étais le premier à publier en français, a eu un énorme retentissement : elle montre que les villes du monde les plus denses sont celles où les habitants consomment le moins d’énergie dans leurs déplacements. Elle a fait débat mais a permis d’ouvrir les yeux sur le lien entre densités et impacts de la mobilité sur les gaz à effets de serre.

Figure 12

J’ai confirmé statistiquement, avec l’OCDE, que les territoires avec métropole sont nettement moins motorisés que les autres : la dépendance à l’automobile est particulièrement marquée à l’extérieur des métropoles, plus encore qu’elle ne l’est dans les secteurs les moins denses des métropoles.

J’ai également appliqué le raisonnement de Newman et Kenworthy sur l’Île-de-France et montré que l’on mesure sur les 1’300 communes de la région le même lien, entre densité et moindre consommation d’énergie pour la mobilité. Et ça m’a beaucoup guidé et j’ai pu approfondir la démonstration.

Figure 13

En Île-de-France, et c’est valable dans la plupart des métropoles et d’agglomérations en France, plus vous êtes dans les centres, plus vous évitez le recours à la voiture, et plus vous faites des distances courtes dans vos déplacements quotidiens. On mesure deux à trois fois plus de kilomètres parcourus par jour par personne pour les habitants des secteurs peu denses par rapport à ceux des secteurs denses.

Mais, ce qui est moins intuitif, c’est que, où que vous soyez, vous passez à peu près le même temps à vous déplacer. Donc il n’y a pas une grande pénalité à aller en périphérie des métropoles : on croit que les gens qui vivent en grande périphérie passent beaucoup plus de temps à se déplacer, mais, statistiquement parlant, ce n’est pas juste.

Alors évidemment, on va trouver des cas qui vont passer une heure et demie ou plus, etc. Mais, les habitants sont globalement « éclairés » et optimisent leur localisation résidentielle et leur mobilité. Trois enseignements sont à tirer de ce rapport entre distance (qui varie beaucoup selon les densités) et temps de déplacement (qui varie peu selon les densités) :

  • Le premier, c’est donc la vitesse. La ville dense est une ville lente. La ville peu dense est une ville rapide ;

  • Le second, c’est que les extensions des réseaux de transport routiers ou ferrés, dont on pense souvent qu’ils sont faits pour gagner du temps, sont en réalité des générateurs d’étalement urbain : les gens ne gagnent pas du temps, ils gagnent de l’espace ;

  • Le dernier est que la proximité a deux composantes : l’une physique (la densité), l’autre temporelle (la mobilité et sa vitesse).

Donc, quand on va, par le projet territorial, transformer les espaces, essayer de densifier ou de dédensifier des quartiers, la notion de rapport à la distance et à la vitesse est fondamentale.

Le problème collatéral des densités est qu’elles sont généralement corrélées à la compacité : la concentration d’un très grand nombre d’habitants dans les cœurs de métropoles fait que les pollutions locales qui impactent la santé sont, elles-aussi, concentrées. Ceux qui parcourent le plus de kilomètres (c’est à-dire les habitants des grandes périphéries), qui polluent donc le plus par habitant, ne sont pas forcément ceux qui subissent la pollution la plus forte (qui sont eux dans les fortes densités). Et là, il y a une question d’équité, que les zones à faible émission vont réinterroger aussi dans les années prochaines.

4 Combiner compacité, polycentrisme et densité

La densité ne préjuge pas de la forme urbaine, comme on l’a vu. Mais elle ne préjuge pas non plus de l’organisation des éléments qui la composent. On peut notamment introduire deux notions complémentaires à celle de densité : la compacité et le polycentrisme.

Figure 14

Pour illustrer la compacité, prenons quatre petits schémas de même taille, chacun avec sept bâtiments, donc avec la même densité. La disposition de ces sept bâtiments peut être très différente : on imagine bien que les relations entre ces bâtiments, les ressentis, les liens, etc., sont de fait différents entre les quatre schémas.

Mais ce qui est intéressant, c’est que la distance moyenne entre deux bâtiments, dans les quatre schémas, est très différente : de 50 mètres de distance moyenne entre deux bâtiments dans le cas le plus compact, à comparer à 123 mètres dans le cas le plus dispersé.

Imaginons que ces petits plots, ce sont des maisons, imaginons que ce sont des villes… et que l’on applique ces calculs : les distances moyennes mesurées deviennent des kilomètres parcourus.

Donc la compacité impacte la distance parcourue. Ce n’est pas qu’une question de densité, puisque chaque schéma a la même densité, c’est une question d’organisation spatiale et, du coup, cela renvoie plus à la notion de proximité.

Il faut par conséquent penser la densification, en tant que processus, dans son lien à la compacité. On peut faire une densification qui n’aura pas du tout le même impact en termes de compacité, selon les perspectives qu’on se donne ; dès lors, l’impact sur les distances à parcourir sera potentiellement très différent.

Figure 15

On en vient tout naturellement ainsi à combiner densité et compacité, à travers la troisième notion, celle de polycentrisme. Certains modèles de développement sont résolument monocentriques : ils sont organisés autour d’un centre urbain majeur, entouré de villes plus ou moins éloignées mais nettement moins peuplées, qui entretiennent avec ce centre d’intenses relations. D’autres sont marqués, comme Aix-Marseille-Provence, par un polycentrisme fort, faisant fonctionner en système un réseau de villes parfois très peuplées et parfois moins, qui entretiennent entre elles un tissu complexe de relations. Opter pour des degrés plus ou moins renforcés de monocentrisme ou polycentrisme induira des conséquences à la fois sur l’évolution des densités et sur les distances totales parcourues. Pour la planification, ce sujet est crucial et a des impacts massifs.

5 La ville du quart d’heure

Figure 16

La ville du quart d’heure, c’est une des manières d’aborder la proximité par la densité et la mixité des fonctions. Il s’agit de trouver dans un périmètre raisonnable de déplacement autour du domicile, tout ce dont chacun a besoin. Même si on n’aura jamais tout ce dont on a besoin dans le quart d’heure, la vertu de ce concept est de réintroduire dans le projet urbain une exigence de proximité qui avait largement disparu. Plus de densité, de services, d’équipements, de commerces, accessibles dans un temps de déplacement court via les mobilités douces, tel est le défi.

La ville du quart d’heure s’apparente donc à la ville intense ! Elle invite à réinterroger la répartition spatiale des fonctions pour les rapprocher des quartiers résidentiels, pour en faire des quartiers plus mixtes.

6 Intensification et sobriété

Figure 17

Une autre dimension qui explique pourquoi l’intensification est une réponse pertinente vient de sa contribution à la sobriété en énergie mais aussi en matériaux.

Les métropoles, je le démontrais dans le même article que j’évoquais plus tôt, sont par habitant moins consommatrices d’énergie dans les pays de l’OCDE par rapport aux espaces moins densément peuplés. Elles sont aussi moins émettrices de gaz à effet de serre, quand on cumule l’ensemble des raisons pour lesquelles on émet du CO2, pas seulement la mobilité.

Figure 18

Si on reproduit l’analyse en Ile-de-France, on trouve ce même grand écart entre l’hypercentre et les communes rurales : ces dernières apparaissent les plus émettrices de gaz à effet de serre par habitant… dans un rapport de 1 à 4 ou de 1 à 5, ce qui est quand même assez important. Accueillir le développement principalement dans les secteurs les plus denses plutôt que dans les secteurs les moins denses permettra ainsi plus facilement d’atteindre les objectifs de décarbonation de notre société.

L’enjeu énergétique n’est pas le seul à invoquer quand on parle de sobriété. Les limites planétaires et les limites plus locales nous poussent à parler de la sobriété en matériaux. Comment utiliser moins de matières dans notre développement territorial ? En optimisant l’usage du bâti existant ! Donc, mieux utiliser le bâti existant est l’une des réponses à cet enjeu. La sobriété en matériaux passe aussi par la réparation, la réhabilitation, la transformation, la déconstruction, le réusage. C’est tout un ensemble de nouvelles problématiques, de nouveaux dispositifs, de nouveaux métiers, de nouvelles filières à mettre en place. Il faut savoir que la réhabilitation d’un bâtiment, c’est en moyenne 35% d’économies sur les émissions des matériaux sur 50 ans par rapport à un projet neuf ; elle consomme en moyenne 17 fois moins de ressources que la démolition-reconstruction et génère 20 fois moins de déchets.

Le modèle économique de ces transformations du bâti existant pour en intensifier l’usage n’est pas toujours avéré en regard des prix du marché, mais les innovations, les régulations et le jeu de l’offre et de la demande font rapidement évoluer ce constat.

7 Désir et acceptation de la population

Figure 19

Le problème de l’intensification, c’est qu’il faut qu’elle rencontre le désir des habitants, leur acceptabilité. Pour bien cerner ce sujet, il faut l’aborder sous plusieurs angles et ne pas en rester à une impression superficielle qui dirait : « personne n’en veut ».

L’ADEME a conduit une enquête sur l’appréciation que portent les Français aux différentes formes urbaines et architecturales que l’on a évoqué plus tôt (chacun reconnaît la petite frise des densités selon les formes d’habitat). L’ADEME a ainsi croisé leurs parts respectives dans le parc de logement actuel et dans l’habitat souhaité. Il apparaît que l’habitat pavillonnaire a encore largement la cote : il représente 20% de l’habitat d’aujourd’hui, mais 56% de ce que projettent ou aimeraient les personnes sondées.

Les grands ensembles, quant à eux, comptent pour 9% de l’habitat occupé, mais seulement 1% du désir d’habiter des habitants… tandis que l’habitat haussmannien, le plus dense étudié, représente à peu près le même poids dans le parc existant et dans l’habitat souhaité.

C’est important d’avoir ces chiffres à l’esprit, évidemment, quand on projette l’évolution des villes.

Figure 20

La densification, qui consiste à ajouter des constructions pour augmenter la densité d’un quartier, provoque très souvent un rejet par les populations en place. Partout, cela résiste. Partout, il y a de l’opposition. Partout, il y a des recours. Et les élus, notamment les élus de proximité, ont légitimement du mal à s’opposer à ces résistances : il n’est pas facile d’aller contre le les habitants qui sont déjà là et de leur imposer une densification forcée.

8 La densité, reflet d’une compétition d’usage pour le sol

La population française privilégie globalement un « idéal » peu dense, mais ses choix réels, dans la vraie vie, s’en écartent pour de multiples raisons. Les prix au mètre carré du foncier et de l’immobilier viennent ainsi contredire l’absence de désir de densité.

Selon la distance au centre de Paris ou des principaux centres urbains, on observe ce que l’on appelle un « gradient » des densités, très corrélé au « gradient » des prix : les prix les plus élevés sont dans les fortes densités, les plus centrales. Ce constat est fait dans de nombreuses agglomérations françaises et permet de mesurer qu’il existe en réalité un désir de densité.

Figure 21

La densité, finalement, est le reflet d’une compétition d’usage pour le sol. Et plus il y a compétition, plus le prix augmente, plus il faut débourser pour s’y installer. Il ne faut donc pas croire que les habitants ne veulent pas de la densité. Le marché foncier et immobilier conduit à la densification, même s’il provoque d’importants d’effets négatifs (nous y reviendrons plus loin) et s’il peut s’écarter d’un idéal rêvé d’un cadre de vie bucolique.

9 Les changements démographiques modifient les attentes quant aux densités

Figure 22

Projetons-nous ! On ne fait pas la ville uniquement pour les habitants qui sont là, mais pour ceux qui seront là demain. Pour explorer plus avant ce raisonnement, avec le Conseil de développement d’Aix-Marseille-Provence, nous avons fait conduire un sondage « Mon avis citoyen » sur la densification : 6’400 personnes ont répondu dans les métropoles en France (la moitié sur Aix-Marseille-Provence, l’autre moitié sur les autres métropoles). Plusieurs idées sont à retenir :

  • La première est que ce sondage corrobore le fait qu’il existe une forte adhésion au fait d’arrêter d’étendre les villes sur les espaces agricoles, et qu’il faut maintenant vraiment faire la ville sur la ville. C’est aussi un message que l’État et les élus doivent entendre à l’heure du débat sur le ZAN ;

  • Surtout, gardons-nous de généraliser à outrance. Il ne faut pas dire « les gens ». Il y a de multiples situations, de parcours de vie ou de catégories derrière « les gens ». Ce sondage met en évidence que les populations jeunes et les populations plus âgées sont désireuses de vivre en densité. Pour des raisons différentes d’ailleurs, mais elles sont désireuses de densité. Si on se projette, les jeunes et les personnes plus âgées, c’est en fait notre population de demain ;

  • le vieillissement de la population va, de fait, changer la donne en termes de demande d’espaces publics, de logements et de développement territorial. La quête de centralité, d’animation, de proximité aux services (notamment médicaux) et équipements, la facilité de déplacement en modes doux, etc., trouvent un écho auprès des populations vieillissantes.

Figure 23

Une autre dimension démographique, partiellement liée au vieillissement, vient ajouter une motivation pour la ville dense : la perspective de l’augmentation des ménages avec une seule personne est très forte. Les couples avec enfants, qui ont longtemps été le « modèle dominant » et que l’on a massivement logé dans des maisons individuelles pendant et après les Trente Glorieuses, ne sont plus le profil en croissance et cela change tout.

Retournons-nous sur le passé. Pourquoi historiquement a-t-on développé nos villes de manière extensive ? D’abord parce qu’on avait une croissance démographique très forte et très rapide. Ensuite parce que la natalité était dynamique et que les familles avec enfants étaient très nombreuses.

Mais la croissance sera a priori durablement nettement moindre que dans le passé (en volume et en vitesse) et la baisse de la taille moyenne des ménages est déjà très marquée et devrait se prolonger, selon les démographes.

Il faut adapter nos réponses territoriales à ce que va être la demande de la population d’aujourd’hui et de demain. C’est extrêmement important de l’avoir en tête, parce que ce n’est plus la demande à satisfaire est radicalement différente de celle qui a conduit à étaler nos villes. C’est un modèle urbain plus intense qui répond le mieux à la démographie actuelle et future, avec des personnes seules ou avec en tout cas peu d’enfants, des familles recomposées et un net vieillissement.

10 Densifier en amenant de la qualité ?

Nous avons interrogé le Conseil de développement de la métropole Aix-Marseille-Provence, qui réunit 240 représentants socio-économiques dont 60 citoyens, sur la question de la densification. Ses membres se sont projetés et ont produit un avis limpide : ils ont assimilé l’enjeu de la densification au motif qu’ils adhèrent pleinement à l’objectif d’arrêter d’étendre les villes sur les espaces agricoles et naturels.

Ils formulent cependant une condition de réussite : le « gagnant-gagnant ». Pour eux, il faut impérativement que les habitants des quartiers à densifier y gagnent quelque chose. Et ce quelque chose, les membres du Conseil de développement nous en donnent la clé : la qualité, l’espace public, la desserte, les atouts de l’habitat individuel y compris dans l’habitat collectif, etc.

Figure 24

Leur message revient à dire qu’il ne faut pas densifier de manière inconsidérée. Le but n’est pas un ajout de quantité sur une surface, mais un ajout de qualité sur une surface. Il faut que les habitants qui sont là y gagnent. C’est peut-être simple à dire, mais c’est toujours bon de le rappeler.

Il faut évoquer ici la crainte de la hauteur du bâti, qui est également un des paramètres revenus très fort dans le sondage « Mon avis citoyen ». Même si j’ai bien montré précédemment que la densité n’est pas égale à hauteur, quand on fait de la hauteur, souvent, le projet est mal reçu. L’héritage des tours des grands ensembles, avec leurs lots de difficultés sociales, est certainement à invoquer pour comprendre la crainte actuelle de la hauteur du bâti (sans parler de la « tour infernale »).

11 Amortir les impacts négatifs de la densification

La qualité de vie en milieu dense n’a évidemment pas que des avantages. Le pavillonnaire ne connaîtrait pas un tel engouement sinon… La densification et l’intensification posent de problèmes très variés, individuels et collectifs, et leurs conséquences négatives doivent être adressées.

Figure 25

Le sondage « Mon avis citoyen » a montré que, si les citoyens identifient les avantages d’avoir tout sous la main grâce à la densité, ils pointent aussi les désagréments. C’est surtout le bruit qui est ressorti comme l’impact négatif de la densité, avec la pollution, avec l’insécurité et les incivilités. C’est intéressant de voir que le bruit est le problème le plus cité, lié aux densités. On doit dès lors déployer les mesures qui s’imposent sur ce sujet, dont il n’est pas sûr qu’elles soient actuellement à la hauteur du ressenti.

Figure 26

Les surcoûts fonciers et immobiliers sont un autre « dommage collatéral » des fortes densités. La densification est souvent associée à des surcoûts, soit dus aux effets du marché (plus de demande que d’offre) soit dus aux coûts des travaux, souvent plus élevés en densification qu’en extension du fait des contraintes techniques. Le gradient de densité est directement connecté au gradient des prix : les secteurs les plus denses sont les plus chers en termes de foncier et d’immobilier.

La puissance publique doit donc amortir le choc de l’éviction des populations qui n’ont pas les moyens de s’installer dans les secteurs les plus denses. Une part de la péri-urbanisation s’explique par ce mécanisme bien connu, pour des ménages qui voudraient trouver en secteur dense un logement correspondant à leurs revenus, mais qui n’en trouvent pas et sont obligés de s’en éloigner. Les correctifs peuvent venir de l’offre en logements sociaux, des aides à l’accession, des aides aux travaux d’amélioration de l’habitat ou de rénovation thermique conditionnées au logement des populations modestes, de l’action foncière publique, etc.

Figure 27

Parmi les impacts problématiques de la densité, il faut citer les îlots de chaleur (surcroît de température dans les tissus urbains compacts). Il s’agit d’un défi dans toutes les composantes de notre manière d’organiser l’espace, d’aménager nos villes et l’espace public, de réintroduire l’eau, la végétalisation, etc. L’intensification et la densification doivent être pensées en même temps que les politiques de modération des îlots de chaleur, sans quoi l’habitabilité des secteurs les plus denses pourrait être compromise.

12 Planifier et outiller : L’exemple du Grand Paris

Je ne suis pas un planificateur dans l’âme. Mais j’ai pratiqué la planification métropolitaine à forte dose, en pilotant le schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF), côté maîtrise d’œuvre. Mon retour d’expérience est clair : la planification est nécessaire et elle permet de peser sur l’évolution des territoires, notamment sur les densités… mais il faut accompagner la planification par des outils de mise en œuvre sans lesquels son impact sera limité.

Dans le débat opposant les tenants d’une planification stricte et les tenants d’un libéralisme territorial, je plaide pour un juste équilibre.

Figure 28

Le schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) permet de partager une évaluation des effets de la planification sur la densification, à l’échelle des 1’300 communes auxquelles il s’impose. J’ai pu, avec mes collègues de l’Institut Paris Région, concevoir les deux versions du schéma, celle de 2007 et celle de 2013 : c’est-à-dire la version avant le Grand Paris Express, puis celle intégrant le futur métro du Grand Paris Express, faisant le lien entre ce nouveau réseau de transport et la planification. Dix ans après son approbation, des leçons intéressantes peuvent être tirées.

Nous avions inclus dans le schéma tout un ensemble de mesures pour garantir et guider la densification de la région parisienne. Il fallait d’abord exprimer le projet spatial régional, combinant compacité, polycentrisme et densification. Il fallait ensuite le décliner dans les règles : nous avons inventé des notions des telles que les densités minimales dans les extensions urbaines, des pastilles de densification préférentielles, des obligations de densifier autour des gares, notamment du Grand Paris Express.

Nous avons réduit de 25% la capacité d’extension qui était offerte par le schéma directeur précédent, qui datait de 1994. J’ai ainsi pu appliquer ce que j’avais préconisé dans mon article de 1996… Nous avons également dessiné des fronts urbains intangibles, pour limiter les extensions urbaines dans les secteurs où le paysage, la nature, la biodiversité nous obligent ou nous guident à le faire.

Mais toute la planification ne peut pas avoir un effet transformateur si elle n’est pas accompagnée par des outils de mise en œuvre adaptés.

Figure 29

D’abord, pour la phase de conception du SDRIF, nous nous sommes appuyés sur une concertation inédite dans son ampleur. Il m’arrivait de dire, quand on faisait le schéma directeur, que ce n’était pas les règles de densification du schéma directeur qui allaient avoir le plus grand impact, mais le fait de partager la pédagogie et d’expliquer pourquoi on fait les choses : c’est ainsi que l’on touche les mentalités et pas par la règle d’urbanisme. Je joue beaucoup sur la concertation, car elle permet de convaincre, plus que par l’imposition d’une règle et les interdits et les obligations. Elle permet réciproquement de concevoir différemment les politiques publiques, pour qu’elles répondent mieux aux enjeux et soient mieux applicables.

Figure 30

La consultation internationale du Grand Paris, initiée par l’État et mobilisant dix équipes pluri-disciplinaires menées par des architectes de renom, avait quant à elle introduit un peu de rêve et donné à voir des images positives de la densification. Elle a permis d’en discuter et de la mettre en débat, avec le grand public : c’est un enjeu sociétal, qui n’est pas qu’un enjeu d’experts ou de scientifiques.

Un autre outil à fort effet levier est bien-sûr le réseau du Grand Paris Express, qui génère un potentiel de transformation et de densification qu’il faut mobiliser. Ce sont 20 millions de mètres carrés à construire autour des gares du réseau du Grand Paris Express : c’est là où la transformation de la région parisienne est en train de s’opérer.

Enfin, nous avons, avec la Région Île-de-France, déployé beaucoup d’outils pour mettre en œuvre les objectifs du SDRIF en matière de densification. Une fois qu’on avait la planification, qui fixe le cadre et les règles, il fallait pouvoir accompagner les projets locaux de manière incitative. Parmi les dispositifs lancés dans ce but, on peut citer les « nouveaux quartiers urbains » (NQU), l’appui de l’établissement public foncier régional, des aides aux maires bâtisseurs, etc.

Figure 31

Après de plus de dix ans d’application, le bilan du SDRIF a été réalisé. Pour ce qui concerne ses résultats sur la densification, il est assez impressionnant : un ralentissement de près de 20% de la consommation d’espace dans la région Île-de-France… alors que l’on assistait à un quasi-doublement de la construction de logements. On partait de 35’000 logements par an dans les années 2010 et l’État avait fixé au SDRIF un objectif de 70’000 logements par an : pour certaines années depuis son approbation, ce chiffre a été dépassé (plus de 80’000 logements par an).

Il y a eu évidemment un effet lié au marché de l’immobilier qui a été porteur, mais il y a eu aussi un effet lié à la planification et à l’accompagnement de la construction. Ce développement régional s’est essentiellement opéré par recentrage dans la proche couronne, évitant ainsi cet étalement que tout le monde redoute.

13 Mobiliser les multiples gisements en densification

Il existe beaucoup de gisements potentiels pour contribuer à la densification des villes et des villages — en adaptant les réponses opérationnelles à chaque contexte. Il y en a beaucoup. Il faut tous les mobiliser, à leur juste niveau et au juste endroit… donc pas n’importe où et pas n’importe comment.

Figure 32

Ces gisements sont variés, tels que le foncier non bâti, l’intensification des usages, la mixité, la densification, la résorption de la vacance, les friches, etc. Il s’agit surtout de les valoriser dans des secteurs qui sont des cibles territoriales sur lesquelles on doit agir.

Nous pouvons évoquer quelques pistes significatives d’abord en termes de densification par ajout de bâtiments.

Figure 33
  • Les grandes friches, comme dans le périmètre d’Euroméditerranée à Marseille, sont parmi les potentiels pouvant générer les plus fortes densités. Par un urbanisme maîtrisé, les projets peuvent avoir une certaine ambition et peuvent oser des formes urbaines comprenant des immeubles de grande hauteur. Ce n’est pas toujours facile à vendre cette hauteur, mais elle a permis corrélativement de libérer des espaces verts et d’espaces boisés au pied des immeubles. Il faudra voir dans la durée si le succès est au rendez-vous, mais ce sont des grandes opérations comme celles-là qui nous permettent de combiner végétalisation, nature, transport en commun et densité.
Figure 34
  • Les surélévations, y compris dans des sites en dehors des grandes opérations d’urbanisme, peuvent contribuer à la densification urbaine. Il faut pouvoir les encourager, dès lors que la planification les permet.
Figure 35
  • Les toits deviennent eux aussi un nouvel eldorado, car ils peuvent accueillir des activités plus nombreuses et diversifiées (sport, culture, production agricole ou énergétique, espace de convivialité, etc.). Un petit chiffre : on identifie 900 hectares de toits-terrasses sur la seule ville de Marseille, dont 12% appartiennent à des collectivités publiques. Alors donnons l’exemple sur notre propre patrimoine bâti, nous, collectivités, car les possibilités de valoriser mieux ces toits sont innombrables.
Figure 36
  • La densification du pavillonnaire (BIMBY : « Build in my backyard »), peut compléter l’offre de logements nouveaux sans étendre davantage les villes. Mais, comme tous les projets de densification, il ne faut pas le faire n’importe où et pas n’importe comment. Et il y a des secteurs à privilégier et d’autres à éviter, en particulier selon la distance aux transports en commun ou aux centralités urbaines. Il faut par exemple éviter de promouvoir une densification douce (quelques maisons de plus dans un quartier pavillonnaire) quand on est trop loin des transports. Mais il ne faut pas le faire non plus quand on est trop près des transports en commun, parce que, dans ce cas, il vaut mieux envisager une densification plus significative (petit collectif ou autre).
Figure 37
  • Les zones commerciales qui ont été construites dans les périphéries urbaines, en même temps que le pavillonnaire se répandait, deviennent aujourd’hui d’importants gisements d’intensification. Elles sont parfois en train de dépérir parce que les attentes, les modes de vie, les rendent obsolètes. Leurs vastes nappes de parking au sol, à l’heure du zéro artificialisation nette, doivent être maintenant regardées comme un foncier à (re)mobiliser, qui devient un gisement potentiel fondamental à traiter.
Figure 38
  • Il en va de même avec les zones d’activités économiques, dont les mutations possibles sont importantes. On pourrait déjà, dans les zones industrielles ou logistiques concevoir des bâtiments sur deux étages ou plus (cf. les immeubles industriels de Hongkong, dans lesquels les camions entrent, chargent et déchargent dans les étages, et repartent).
Figure 39
  • Il existe aussi une multitude d’espaces qu’on n’a pas regardés parce qu’on ne voulait pas les voir, par exemple sous les bretelles autoroutières : ce sont des gisements fonciers qu’on n’a jamais traités comme tels, mais qui peuvent être transformés et valorisés pourquoi ne pas y accueillir de la petite logistique de proximité ou d’autres activités adaptées à ce lieu ?
Figure 40
  • Un autre gisement encore trop peu utilisé vient des autoroutes urbaines et de leurs abords. Ils peuvent être transformés en boulevards urbains, aux circulations apaisées et aux espaces ré-urbanisés. De tels projets, parfois d’ampleur, ont pour bénéfices à la fois de requalifier des « morceaux de villes », de développer une mobilité moins dépendante à l’automobile, et d’offrir des possibilités de construire tout en végétalisant. Les « entrées de villes » peuvent être des terrains privilégiés d’une telle approche.

14 Recourir à l’intensification urbaine : la densification sans construction

Figure 41

Au-delà de la densification par ajout de constructions nouvelles, il faut exploiter bien davantage les bâtiments existants et en maximiser les usages. La plus-value de cette « densification sans construction » repose notamment sur sa vitesse de mobilisation, car elle est généralement nettement moindre que pour la construction de bâtiments ; en période de crise de l’offre de logements, on devrait redoubler d’efforts sur cette dimension. Ici aussi, les possibilités sont nombreuses.

  • Le premier gisement d’intensification est évidemment la résorption de la vacance des logements. Il existe, on le sait, plusieurs types de vacances : « conjoncturelle ou frictionnelle », « de projet », « de rétention » ou « structurelle »… Néanmoins, les ordres de grandeur sont intéressants. Le stock de logements vacants sur Aix-Marseille-Provence, équivaut à deux ans de construction neuve. En Île-de-France, le chiffre est de 5.7 ans. C’est donc considérable et mérite un surcroît d’attention (sans parler des logements transformés en meublés touristiques de type AirB&B, qui représentent eux aussi près de deux ans d’objectifs de construction neuve sur Aix-Marseille-Provence).

  • Le même raisonnement se tient pour les espaces de bureaux vacants, en particulier en Ile-de-France, où le taux de vacances dépasse en 2024 les 8% (il est deux fois plus élevé dans le quartier de La Défense), en raison à la fois d’une surproduction ces dernières années, d’un changement dans les pratiques et d’un tassement du dynamisme économique.

  • Si on pousse le raisonnement sur le meilleur usage des logements existants, on peut regarder différemment la question de l’habitat pavillonnaire. On sait en effet qu’il y aura moins de familles avec enfants à l’avenir. Or, on sait aussi qu’il y a des maisons qui sont durablement vacantes. Sur Aix-Marseille-Provence, on pourrait estimer que l’on a suffisamment de maisons pour loger la croissance du nombre de familles avec enfants d’ici 2050. Ce n’est évidemment pas aussi simple que cela, mais cela donne un ordre de grandeur. Une autre manière d’intensifier le pavillonnaire (sans construire) serait d’encourager les personnes seules dans leur maison ou grand appartement, d’en louer une partie : des dispositifs incitatifs nouveaux pourraient être inventés pour cela.

  • Il en va de même dans le parc de logements sociaux, dans lequel de grands appartements sont occupés par des personnes seules, après que la famille se soit « dispersée » : davantage d’incitation à la mobilité résidentielle permettrait de générer une offre sans besoin de construire, par simple meilleur ajustement entre taille des logements et taille des ménages.

Figure 42

Je finis avec un gros point d’interrogation, en abordant le sujet du télétravail qui a des conséquences directes et indirectes avec l’enjeu de l’intensification urbaine. Je n’ai aucune certitude sur son impact global :

  • D’abord, il y a du bâti existant qu’on n’utilise plus assez. Les bureaux qui sont occupés deux ou trois jours et non cinq jours par semaine, qu’en fait-on ? Va-t-on durablement laisser deux, trois jours par semaine des bureaux sous-occupés ? Question.

  • Les premiers chiffres de l’ADEME témoignent d’un impact positif sur les émissions de gaz à effet de serre, notamment grâce à l’évitement des déplacements domicile-travail. Très bien.

  • D’autre part, que doit-on faire des nouveaux bureaux dont on prévoyait la construction future : doit-on continuer de les construire ?

  • Les logements, quant à eux, ne sont pas tous prêts pour accueillir le télétravail : trop de monde dans le logement, pas assez de place, trop de bruit, pas de connexion internet, etc. Même des gens qui pourraient télétravailler en sont empêchés, car ils n’ont pas un logement adapté au télétravail. Donc comment fait-on (pour les logements existants et pour les futurs logements) ?

  • Cela crée des inégalités d’accès au télétravail et interroge sur la conception des nouveaux logements (besoin de plus de place dans le logement ?).

  • Il faut également prendre en considération la transformation des lieux de consommation et des lieux de restauration. Avant, on travaillait, on mangeait au même endroit, mais, si une partie de la semaine on mange chez soi du fait du télétravail, la distribution de la consommation dans l’espace n’est plus la même.

  • Enfin, nombreux sont les actifs qui se disent que le télétravail leur donne la possibilité d’aller vivre plus loin des villes : on supporte deux ou trois jours par semaine de déplacements dans les bouchons pour aller travailler. Le télétravail présente de fait un risque d’une nouvelle vague de péri-urbanisation…

L’intensification urbaine est finalement un défi global qui appelle une réponse globale. La période actuelle est dans la tourmente car il devient clair que le modèle extensif antérieur a atteint ses limites mais que le modèle extensif à déployer est largement à inventer. Il est néanmoins rassurant de savoir que les gisements sont là. Il reste à trouver les clés pour les mobiliser pleinement.

Réutilisation

Citation

BibTeX
@inproceedings{fouchier2024,
  author = {Fouchier, Vincent},
  publisher = {Sciences Po \& Villes Vivantes},
  title = {Pourquoi est-ce que l’intensification urbaine est la
    solution\,? Les bénéfices métropolitains de la compacité, de la
    polycentralité et de la densité dans les pays de l’OCDE},
  date = {2024-01-19},
  url = {https://papers.organiccities.co/pourquoi-est-ce-que-l-intensification-urbaine-est-la-solution-les-benefices-metropolitains-de-la-compacite-de-la-polycentralite-et-de-la-densite-dans-les-pays-de-l-ocde.html},
  langid = {fr}
}
Veuillez citer ce travail comme suit :
Fouchier, V. (2024, January 19). Pourquoi est-ce que l’intensification urbaine est la solution ? Les bénéfices métropolitains de la compacité, de la polycentralité et de la densité dans les pays de l’OCDE. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/pourquoi-est-ce-que-l-intensification-urbaine-est-la-solution-les-benefices-metropolitains-de-la-compacite-de-la-polycentralite-et-de-la-densite-dans-les-pays-de-l-ocde.html