Quel est le lien entre la densité des villes, leur taille et leur impact carbone ? un panorama international

Retranscription de la conférence du 19 janvier 2024 à Sciences Po (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

Aix Marseille School of Economics

Date de publication

19 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

Avec cette présentation, nous allons un peu changer d’échelle et faire écho à des débats qui ont déjà eu lieu ce matin sur la façon, justement, de connecter différentes échelles. C’est une analyse que nous avons produite à l’échelle globale. Je vais essayer de vous en présenter les résultats en quelques lignes. Notre idée était de mesurer l’impact de la densité urbaine sur nos émissions de gaz à effet de serre par habitant, en tenant compte de différents contrôles que nous allons devoir aborder.

Pourquoi est-ce un sujet qui nous intéresse ?

Car la population urbaine augmente très rapidement et qu’elle augmente d’ailleurs beaucoup plus vite dans des villes qui sont déjà très denses, notamment sur le continent asiatique et sur le continent africain. Cette population urbaine est responsable de presque 70% des émissions de CO2. Aujourd’hui, nous allons très rapidement connecter la croissance de la population urbaine avec la croissance de nos émissions de gaz à effet de serre. Ce sont deux processus qui vont devoir être analysés simultanément.

C’est un sujet qui est important parce que nous savons que les conséquences de la pollution de l’air sont très coûteuses. Je vous donne quelques exemples de papiers qui démontrent et quantifient les conséquences négatives de la pollution de l’air sur la santé, sur le capital humain, sur la productivité du travailleur, mais aussi sur les choix de localisation et sur les coûts du logement. Il y a des externalités négatives en cascade qui apparaissent avec cette exposition à la pollution de l’air en ville.

En même temps, la ville, et notamment la ville compacte, dense, est souvent présentée comme une solution possible pour diminuer nos émissions par tête. C’est un débat qu’on trouve beaucoup dans la littérature. Faut-il que nous vivions tous dispersés sur le territoire ou est-ce qu’il faut que l’on se concentre sur le territoire pour tenter de limiter nos émissions par habitant ?

Nous savons que, dans la littérature, théoriquement, une ville dense peut être plus efficace, peut nous permettre de diminuer notre empreinte écologique en analysant différentes sources de pollution de l’air.

Évidemment : d’abord la consommation énergétique. En fonction de l’habitat et de la structure de l’habitat, nous pouvons avoir une diminution des émissions par habitant dans les villes peuplés. Nous allons avoir différentes sources qui sont également le transport. La pollution industrielle — je la mettrai de côté, je vous expliquerai pourquoi. Beaucoup d’auteurs ont travaillé sur les différentes sources de pollution de l’air. On démontre qu’à certaines conditions, il est possible d’obtenir une réduction de ces émissions. Ce que nous souhaitons comprendre à travers cette étude, ce sont les conditions selon lesquels l’augmentation de la densité de la population peut être associée avec une réduction des émissions par habitant.

Figure 1

Voici un graphique rapide qui nous montre les différents polluants et les sources de cette pollution de l’air. Si l’on exclut des pollutions qui sont principalement émises par l’agriculture ou par l’industrie, tous les autres polluants et gaz à effet de serre sont principalement émis par le transport et le résidentiel : ce sont les deux gros postes de pollution de l’air en ville.

Alors, que sait-on de ces types de pollution ? Commençons par la consommation énergétique de notre milieu résidentiel. Il y a deux effets opposés que l’on retrouve dans la littérature. Le premier est que des villes très denses vont, la plupart du temps, présenter de très grands bâtiments qui consomment énormément d’énergie, des universités, des théâtres, des centres commerciaux, des cinémas de plus en plus grands, qui sont très énergivores et qui vont donc affecter positivement les émissions émises dans les grandes villes. Des papiers démontrent d’ailleurs que si nous voulons de grands bâtiments plus verts, moins énergivores, ce sont également des bâtiments qui vont être plus coûteux. Il existe des freins qui font que dans de nombreuses villes, l’augmentation de la densité de la population va être associée à un habitat, à des résidences qui sont beaucoup plus énergivores et polluantes.

Autre effet négatif ici : c’est l’effet des prix immobiliers. Si on a une augmentation de la densité de la population, on va avoir une pression sur le marché immobilier et donc un étalement urbain qui va souvent être associé à des maisons individuelles à mesure que l’on s’éloigne du centre-ville et qui vont être associées à des performances énergétiques moins intéressantes.

De notre côté, ce que nous trouvons aussi dans la littérature, c’est que des villes denses peuvent être associées à une diminution de notre consommation énergétique et donc à une diminution des émissions de CO2 par habitant. Cela fait écho à tout le débat qui a eu lieu ce matin mais lorsqu’on n’est pas trop contraint du point de vue de l’architecture de notre milieu, on peut avoir des bâtiments qui s’élèvent, par exemple. Il y a des papiers qui montrent que des bâtiments plus élevés vont nous permettre de réduire de façon assez naturelle nos émissions par habitant.

Allons maintenant du côté de la mobilité, une autre source très importante de pollution de l’air quand on est en ville, soit la pollution générée par nos mobilités au sein de cet espace. Deux effets opposés, encore une fois, aparaissent dans la littérature, cela est très ambigu. Premièrement, et assez naturellement, nous allons considérer que l’agglomération des hommes, l’agglomération des activités économiques, va générer une réduction des déplacements. Si tout est sur place, on va se déplacer moins et donc réduire les émissions qui sont générées par nos transports individuels. Il s’agit tout simplement d’une économie liée à la proximité générée par la ville. Bien évidemment, vous n’êtes pas sans le savoir, à partir du moment où la ville grossit, où la densité augmente, des effets de congestion vont apparaître, générant eux-mêmes une augmentation de nos émissions de CO2 par habitant. D’autres effets, liés au prix immobilier qui génèrent de l’étalement urbain, vont contribuer à augmenter les distances nécessaires pour aller travailler, pour aller sur nos lieux de consommation de biens et de services.

D’un point de vue plus théorique, que sait-on de l’effet de la densité sur la pollution de l’air, et notamment à travers nos mobilités ? Ce papier de Denant Boemont, Gaigné et Gaté nous montre que le rôle de la structure urbaine va être essentiel. Nous allons considérer qu’il existe des villes qui sont plus ou moins monocentriques ou polycentriques. Il va y avoir des villes qui vont être caractérisées par une très forte concentration des activités économiques autour d’un centre et des villes qui vont être caractérisées par une redispersion des activités économiques au sein même de cette ville. Ce papier théorique démontre que les villes polycentriques, qui présentent plusieurs centres d’activités un peu dispersés, peuvent souvent être associées à une meilleure distribution des activités économiques, une meilleure distribution des mobilités sur le territoire et des émissions par habitant moins importantes, justement du fait que le réseau de transport est moins encombré et qu’on a une circulation plus fluide. La structure de la ville est mise en avant dans ce papier comme étant une condition nécessaire pour qu’on associe positivement la densité de la population avec une réduction de nos émissions.

Alors, qu’est-ce qu’on a fait, nous, dans cette étude ? On a cherché à creuser ces effets en établissant une stratégie empirique qui va être très différente de ce qu’on a vu jusqu’à présent, qui va être beaucoup plus globale. On a construit un échantillon d’un peu plus de 1’200 villes dans le monde. Notre objectif, c’est de tester la relation densité urbaine sur nos émissions par habitant, en prenant l’échantillon le plus large possible, en considérant que plus notre échantillon sera large, plus on aura la possibilité de tester précisément le rôle de la densité, le rôle de la structure urbaine sur nos émissions par habitant, tout en contrôlant certains facteurs qui vont être essentiels et notamment des effets qui sont liés, par exemple, aux revenus des habitants, qui va conditionner une grande partie de l’analyse. Pour ce faire, on construit ce panel de 1’200 villes de 1960 à 2010, et on va avoir une analyse quantitative qui utilise un modèle inspiré d’une version étendue du modèle IPAT, qui va mesurer l’impact environnemental à nos émissions de CO2 en tenant compte de certains facteurs essentiels que sont la population, à laquelle on va ajouter la densité de la population, les effets revenus et les effets technologiques.

Qu’est-ce qu’on utilise comme données ? On va avoir des données de population, de densité urbaine et de pollution, qui viennent de la base de données GHSL, qui est une base de données internationale qui nous fournit énormément d’informations. On a des données de pollution de CO2, de particules fines, donc on va travailler sur ces deux polluants, dont on dispose pour tester la robustesse de nos résultats. On va combiner ces données avec des données satellites qui nous donnent des mesures de l’intensité lumineuse nocturne. Pourquoi est-ce qu’on va utiliser ces données satellites ? Parce qu’elles sont souvent utilisées dans la littérature pour nous donner une bonne approximation de l’intensité de l’activité économique sur un territoire. Et on a assez de chance que ce sont des données satellites, donc ce sont des données très fines, qui nous permettent de vraiment avoir une mesure de l’intensité de l’activité économique à l’échelle du monde, mais aussi de la concentration ou dispersion de ces activités économiques sur le territoire.

Qu’est-ce qu’on produit également ? On va produire deux indicateurs sur la base de ces données lumineuses : un index de GINI, qui mesure la dispersion plus ou moins inégale sur le territoire de l’intensité lumineuse, et un indice de MORAN, qui va nous permettre de bien capter ce qu’on appelait cette monocentricité de l’activité économique, ou au contraire, une ville qui serait plus polycentrique, qui va avoir du coup une activité économique plus diffuse sur le territoire.

Figure 2

Voici quelques petits exemples de ce que ça nous donne. Ci-dessus, on a quatre villes qui sont ordonnées par ordre croissant. Plus l’indice de MORAN est petit, plus la ville va être considérée comme monocentrique. Pourquoi ? Parce que toutes les zones qui sont violettes et noires, sombres, sont des zones où il y a peu d’activités économiques. Et toutes les zones qui sont oranges, jaunes, sont les zones de la ville qui ont des activités économiques beaucoup plus intenses.

On voit bien, si on regarde les deux extrêmes, Paris ou, ici, Niamey, on voit bien qu’on a une diffusion beaucoup plus importante de l’activité économique à l’échelle de la ville qui va faire qu’on va considérer cette ville polycentrique, et cette ville-ci, monocentrique. Alors ce n’est pas blanc ou noir, l’indice de MORAN, va nous permettre de quantifier cette dispersion de l’activité économique.

Deux petites cartes rapidement, que vous connaissez sans doute. Les taux d’émission par tête. On a quand même une concentration en Amérique du Nord, en Europe, qui ont les taux les plus élevés d’émission par habitant.

Figure 3

Et si on regarde cette carte de la densité urbaine, on voit que par contre que les zones du sud sont plus concernées par les problèmes de densité urbaine.

Figure 4

Rapidement, avec les deux cartes, on a tendance à établir une relation un peu négative entre densité urbaine et taux d’émission par tête. Mais nous, on a voulu creuser un petit peu plus, donc on a produit ces estimations.

Premier résultat de cette étude : l’impact de la densité sur nos émissions par habitant. On obtient une corrélation négative qui est très significative et qui est robuste, quel que soit le type de polluants qu’on utilise et quel que soit le type de contrôle qu’on utilise. Autrement dit, une densité élevée de la population urbaine et une augmentation de la densité de la population va générer une diminution de nos émissions par habitant. C’est à l’échelle globale, c’est un effet moyen sur l’ensemble de notre panel. On obtient une élasticité qui est comprise entre 0.22 et 0.52 en fonction du modèle étudié. Lorsque la population, la densité de la population augmente de 1%, on a une diminution entre 0.22 et 0.52% des émissions par habitant.

C’est quand même un premier résultat qui est important. Ce résultat va tenir compte évidemment de la technologie, des effets technologies, des effets revenus parce que, contrairement aux études qu’on avait tout à l’heure dans les présentations, on est sur une échelle très globale. Évidemment, on a des pays et des villes qui sont très hétérogènes, donc on a besoin de contrôler toute cette hétérogénéité.

On va établir un deuxième résultat intéressant dans cette étude, c’est qu’on va mettre en évidence ce qu’on appelle une « courbe environnementale de Kuznets ». Je ne sais pas si vous connaissez le concept de courbe environnementale. La courbe environnementale de Kuznets, c’est une courbe en cloche, qui nous dit qu’à mesure que le revenu augmente, on va d’abord avoir une augmentation de la pollution générée, jusqu’à ce qu’on atteigne un certain seuil critique de revenu, à partir duquel on va voir apparaître une réduction de la pollution générée. Donc : courbe en cloche, une relation d’abord positive puis négative.

Cette courbe est difficile à établir dans la littérature. C’est un point de controverse important dans la littérature économique mais nous, dans notre étude, en utilisant cet échantillon large de villes, on obtient une courbe environnementale de Kuznets. Autrement dit : on va introduire dans nos variables explicatives les revenus, qui sont — je vous le rappelle — mesurés par cette intensité lumineuse nocturne. On va intégrer des termes linéaires et quadratiques pour justement mesurer potentiellement ces effets de courbe en cloche. Et on obtient bien qu’à mesure que les villes deviennent riches, les émissions par habitant augmentent d’abord puis diminuent sur la période donnée. C’est un résultat qui est assez intéressant à signaler par rapport à la littérature existante.

Troisième résultat qu’on met en évidence avec cette étude&nbs;: je vous l’ai dit, d’un point de vue théorique, on a déjà un papier qui nous signalait que la structure de la ville allait être déterminante pour éclairer ce lien entre densité urbaine et émissions de CO2 par habitant. Nous avons voulu tester cette hypothèse-là empiriquement : on introduit donc notre indice de monocentricité dans notre modèle pour capturer l’effet de la structure spatiale de notre ville.

Ce qu’on obtient c’est qu’en moyenne, on a une relation négative entre la concentration de l’activité économique et les émissions par habitant. Autrement dit : en moyenne, une ville monocentrique, très compacte, est associée avec des taux d’émissions par habitant plus faibles. C’est un premier résultat qui fait écho avec ces intuitions qu’on a vu apparaître dans la littérature, que plus on s’agglomère, moins il y a de distance à parcourir entre les différents individus dans un système économique.

Mais si on précise un petit peu l’analyse et que, justement, on met en interaction la taille de la ville avec ce coefficient de monocentricité, on obtient que pour les petites villes, la structure monocentrique permet effectivement une réduction des émissions de CO2 par habitant. En revanche, dès lors que la ville augmente, il va y avoir un effet taille, et dès lors que la ville augmente, on va avoir l’inverse qui va se produire, c’est-à-dire que des grandes villes monocentriques vont générer une augmentation des émissions par habitant.

Figure 5

Ci-dessus, un petit graphique qui vous montre l’impact de la monocentricité sur la pollution : il est négatif jusqu’à un certain seuil à partir duquel il devient positif. À mesure que la population, la taille de la ville augmente, on a au départ une relation négative entre monocentricité et émissions. Donc, plus on est dense mais compacte, concentrée sur un centre, moins on va générer d’émissions de CO2 et puis, ensuite, ça explose. La conclusion à donner de ce tableau, c’est qu’à mesure que la taille de la ville augmente, il faut imaginer la structure de la ville de façon plus polycentrique pour espérer avoir une réduction des émissions de CO2 ou de particules par habitant.

Le sens de mon propos sur cette dernière diapo, c’est de dire que les résultats qui ressortent de notre étude, c’est que la densité urbaine peut nous permettre effectivement de réduire nos émissions de CO2 : ça a été le cas sur les dernières décennies à l’échelle du monde mais, pour obtenir ce résultat, en affinant un petit peu l’analyse, on constate qu’il nous faut penser à des villes plus polycentriques à mesure qu’elles grossissent, donc à mesure que la densité augmente, pour espérer voir notre empreinte écologique diminuer.

Réutilisation

Citation

BibTeX
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Veuillez citer ce travail comme suit :
Dienesch, E. (2024, January 19). Quel est le lien entre la densité des villes, leur taille et leur impact carbone ? un panorama international. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/quel-est-le-lien-entre-la-densite-des-villes-leur-taille-et-leur-impact-carbone-un-panorama-international.html