Le combat pour une souveraineté française

Retranscription de la conférence du 18 janvier 2024 à l’Institut de France (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

Ancien Ministre de l’Economie et du redressement productif

Date de publication

18 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

J’aimerais voir mes interlocuteurs, parce que c’est une discussion, finalement, et une interlocution, et remercier les organisateurs de cette rencontre fort intéressante en croisant des disciplines. On ne le fait jamais assez sur le plan intellectuel et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai accepté, avec enthousiasme, de venir frotter quelques certitudes avec les vôtres, et croiser deux sujets tout à fait intéressants :

Je ne sais pas si cette expression est encore usagée. Mais enfin, c’est celle que j’ai apprise lorsque j’étais étudiant, il y a maintenant quelques décennies lors de ma maîtrise d’urbanisme et d’aménagement du territoire de Panthéon-Sorbonne, et j’ai quelques souvenirs de la façon dont on posait les mêmes questions qu’aujourd’hui.

D’ailleurs si je regarde votre questionnement, « la démétropolisation, une hypocrisie française » avec les questions politiques sous-jacentes qu’ont évoquées les orateurs précédents, en fait, le débat pourrait se résumer ainsi : mais où est donc passée la Datar ?

Je vais donc le faire de façon un peu directe, en donnant toutefois quelques éléments d’information préalables et complémentaires sur ce que j’appelle le décrochage français.

1 Le décrochage Français

La France est un pays qui s’appauvrit sérieusement et décroche en forme de chute libre, malheureusement. Elle décroche avec l’Union Européenne par rapport au reste du monde (Chine, Amérique…) et elle décroche par rapport à l’Union Européenne. Donc : double décrochage, double danger. En témoignent rudement trois chiffres assez cruels.

1.1 1er chiffre, le commerce extérieur

C’est-à-dire la balance commerciale, ce que l’on produit par rapport à ce que l’on vend à d’autres ou ce que l’on consomme. Nous sommes à moins 150 milliards. C’est le record de l’histoire économique de la France depuis les Mérovingiens… 150 milliards alors que même la Grèce et la Roumanie dans la période qui vient de s’écouler ont amélioré leur solde commercial pendant que la France, elle, a continué à s’enfoncer. Pourtant, cela fait 30 ans — j’y ai participé comme tous — que nous faisons des politiques de compétitivité macro-économique. Donc nous prenons les ratios, nous comparons et nous les faisons baisser pour ne pas perdre du terrain. Il y a eu le coût du travail, il y a les impôts de production, les charges, vous savez, les baisses de cotisations qu’on empile. Tous ces éléments-là, dans ce qu’on appelle chez Monsieur McKinsey, « le benchmark ». Nous avons passé notre vie à essayer de mener la compétition sur les coûts. Résultat : moins 156 milliards. Si j’enlève l’énergie, nous sommes encore à moins 96 milliards. Nous n’avons jamais connu cela en France.

Donc vous avez des pans entiers de nos besoins élémentaires de consommation, dans la santé, dans l’alimentation, dans le transport, que nous achetons à l’étranger parce que nous ne les produisons plus sur le territoire national. On importe par exemple 65% de nos fruits et légumes ! C’est un effondrement de l’agriculture dite vivrière en France ; donc, nous avons là des symptômes très préoccupants.

1.2 Deuxième chiffre, l’appauvrissement des territoires

Mise à part l’Île-de-France, toutes les régions de France ont un revenu par habitant qui est inférieur à la moyenne européenne. C’est ça le décrochage. Vous allez à Vierzon, à Riom, à Bourges, à Montauban ou Clamecy où je suis né, vous allez à Montceau-les-Mines : « fermé », « à vendre », « à louer ». Vous les connaissez ces centres-villes dans la diagonale du vide et pourtant, il y a beaucoup de population.

Ces éléments-là montrent que la question industrielle de la souveraineté économique est maintenant une question d’urgence puisque nous n’avons pas les moyens de financer, à la fois, nos services publics, notre protection sociale et les investissements pour assurer notre avenir. La métropolisation qui est l’objet du débat a concentré les richesses et appauvri tout le reste. Là, non seulement le gâteau se rétrécit mais en plus, il se répartit de façon encore plus inégale.

1.3 Le troisième chiffre, c’est le salaire moyen

En Île-de-France, à Paris, le salaire moyen est de 43’000 euros. En Saône-et-Loire, département où j’ai été élu pendant 18 ans, il est de 23’000 euros. Vous avez 20’000 euros d’écart. Donc, quand vous êtes un gars de Louhans comme moi qui arrive sur les Champs-Élysées, c’est un autre monde. Vous êtes à Monaco. Vous ressentez, un peu comme ce genre d’écarts de revenus, un gouffre entre les cultures et les modes de vie, au point qu’on peut désormais parler de deux sociétés qui ne se parlent plus et ne se comprennent plus, lorsqu’elles ne se combattent pas.

2 Comment réaliser cette réindustrialisation ?

Je voudrais aller un peu plus dans le détail en vous disant que seule la réindustrialisation pourrait être de nature à répondre à ces deux inquiétudes.

D’abord, parce qu’elle est réparatrice d’une politique qui a sacrifié pendant 30 ans nos territoires, et qu’elle est correctrice d’inégalités sociales qui se voient désormais dans les paysages urbains et ruraux, un spectacle humiliant qui provoque la colère de 70% des Français qui se sentent comme les abandonnés de l’économie et les oubliés de la politique. La réindustrialisation permet d’agir dans un même mouvement sur : la taille du gâteau et sa répartition territoriale. Mais s’il n’y a pas une politique de réindustrialisation réussie, nous pouvons nous inquiéter du sort de la société française. Les tensions et les fractures vont continuer à s’aggraver. Elles ne sont pas que territoriales, elles sont sociologiques, elles sont donc sociales et elles sont politiques, comme le traduit parfaitement aujourd’hui la nouvelle carte électorale.

Tout à l’heure, la question de la ruralité a été posée à juste titre. Il me souvient avoir été élu en 2008 dans le canton de Montret en Saône-et-Loire (2’000 âmes) : j’ai cogné à la porte de toutes les fermes, conquis par le sourire et parfois, par le petit coup de gnôle…

J’ai été élu au premier tour à 56% dans ce canton en 2008. En 2022, Mme Le Pen y a fait 51%. Et les gars me disent « Arnaud, maintenant c’est Le Pen ! Pour nous, c’est Le Pen ! C’est comme ça, parce que ça suffit ! » C’est l’oubli économique, l’appauvrissement et puis la désertification. Alors on dit « la Poste, etc. » mais c’est surtout qu’il n’y a plus d’activité économique puisque les usines sont parties ailleurs. Cela a été suffisamment expliqué, documenté. Et le moment d’acquitter la facture politique de cet abandon est en train de sonner.

3 Une politique de réindustrialisation

Alors c’est quoi une politique de réindustrialisation ? Ça consiste en quoi ? Ça ressemble à quoi ? Et qu’est-ce qu’on fait ? Comment doit-on s’y prendre ?

4 Comment finance-t-on ?

C’est cinq points de PIB qu’il faut reconstituer en production industrielle nationale. En fait, il nous faut remonter au niveau de part de l’industrie dans le PIB de l’Espagne, c’est tout dire de là où nous en sommes. C’est 50 milliards de chiffres d’affaires à relocaliser sur le sol national. Ce qui correspond en gros à 300 milliards d’investissements sur 10 ans. On en fait à peu près 80-90 milliards naturellement par l’économie actuelle. Il faut ajouter 30 milliards par an sur 10 ans, chaque année. Le plan de relance, qui n’est plus un plan de relance mais le plan de réindustrialisation et qui s’appelle France 2030, c’est 54 milliards en tout et pour tout.

C’est un bon début mais on sait que ça ne suffira pas. Vous voyez ce que ça signifie en comparant les quantités et les masses. Cela suppose en conséquence une mobilisation sans précédent de l’épargne pour aller chercher ces 300 milliards puisque la puissance publique ne peut plus l’emprunter. L’État a déjà suffisamment emprunté au point d’être surendetté. Je ne suis pas le seul à proposer d’utiliser notre taux d’épargne qui, pour le coup, est un grand atout de la France : nous disposons au bas mot de 2’500 milliards de stock d’épargne ; c’est l’assurance-vie qui alimente des fonds étrangers qui ne financent que trop peu la France. Pourquoi ? Parce qu’on a aidé nos propres fonds de pension — je rappelle que l’assurance vie est défiscalisée, ce sont donc nos fonds de pension constitués avec le soutien des finances publiques, même si on dit souvent à grand tort que nous n’aurions pas de fonds de pension et qu’il faudrait, là encore à grand tort, que nous privatisions notre retraite. Notre assurance-vie défiscalisée, à coup de soutien de budget public, ne fait l’objet d’aucune exigence de réinvestissement dans l’économie réelle française. C’est cette contrepartie qu’il faut créer en relançant l’investissement privé vers nos PME et ETI non cotées.

Il suffirait qu’on investisse 5 à 10% de cet encours et qu’on dise à Monsieur AXA, Madame Allianz, et Mademoiselle Abeille, qu’ils vont financer la réindustrialisation. Cela, nous pouvons facilement le faire, à supposer que l’on s’achète un peu de courage politique.

5 Comment trouver le foncier ?

Il va falloir trouver 20’000 hectares, pour installer les 800 usines (5 à 10 par département). Saura-t-on réhabiliter nos friches industrielles, sans arriver, comme je l’ai lu, à un coût de remise du foncier pollué de 350’000 euros l’hectare ? Et nous avons un phénomène de spéculation sur les terrains agricoles qui désaffecte la terre de sa destination. Car nous avons aussi des friches agricoles. Environ 20% de la surface agricole utile n’est pas exploitée aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que le paysan du Vaucluse attend le permis de construire et donc que le PLU change pour pouvoir valoriser son bien en se disant qu’il va toucher la timbale.

Le paysan de Saône-et-Loire, où il n’y a pas de pression foncière, va, lorsqu’il cesse son activité sans repreneur parce qu’il n’y en a pas, faire pâturer le cheval de la voisine ou du châtelain. C’est plus prestigieux que de laisser pousser la forêt. Et parfois encore, et souvent, vous avez de la surface agricole utile qui se transforme en forêt parce qu’il n’y a plus de paysans et que la terre n’est pas si généreuse à cet endroit-là. 20% de friches c’est beaucoup, cela nous indique la grande déprise agricole. Pourtant, cette terre doit retrouver une destination agricole parce que nous avons besoin de nous nourrir.

Le législateur vient de s’en mêler en décidant la zéro artificialisation nette (ZAN) et en faisant de la préservation de la terre agricole une politique centrale. Très bien, mais où met-on alors les usines ? Les experts proposent ainsi de se contenter de nous débrouiller avec les friches. D’accord, mais qui va payer le prix astronomique des dépollutions ?

Est-ce nous allons demander à ArcelorMittal de financer la dépollution son site à Laudun-l’Ardoise, où il a laissé un diplodocus d’acier fermé depuis 15 ans ? Ils vont nous répondre que si nous faisons cela, ils ferment le site de Dunkerque ou de Fos-sur-Mer parce que leur politique permanente c’est le chantage au gouvernement. Je l’ai connu sur l’affaire Florange comme d’autres avant moi, comme Sarkozy ou d’autres après moi qui ont fait semblant de ne rien voir. C’est pourquoi il va falloir investir 2, 3, 4, 5 peut-être 10 milliards sur la dépollution des friches industrielles si nous faisons ce choix de les réhabiliter pour y construire les nouvelles usines.

Enfin, il faut traiter la question cruciale de qui va autoriser les constructions ? Car, excusez-moi par avance, je vais devoir être un peu plus direct. Tout à l’heure, j’ai entendu dire que les élus étaient conservateurs. Pour moi c’est encore plus simple : les élus de droite ne veulent pas de pauvres, les élus de gauche ne veulent pas de riches et les écologistes ne veulent personne !

Vous comprenez ainsi pourquoi il n’y a plus d’immobilier de construction en France. On ne veut plus construire parce que la politique locale consiste de plus en plus souvent à dire à ses électeurs : « vous êtes formidables, on va rester entre nous, comme on est ». Et tous ceux qui arrivent, ce sont ceux qui naissent, ce sont les familles qui se coupent en deux parce qu’elles ne s’entendent plus et ce sont les populations arrivées d’ailleurs parce qu’elles cherchent un emploi. Bref, tous ces gens-là, ils sont dans des véhicules, dans les campings désormais complets en hiver. Avant c’était les ouvriers, on s’en fichait (bien à tort !) parce que c’était des ouvriers qui allaient travailler à l’usine (j’en ai connu dans mon département) et qui couchaient dans leur voiture pour aller faire les 3-8 et qui rentraient chez eux à 150 kilomètres. Maintenant, ce sont les étudiants, les cadres et les familles monoparentales qui n’ont plus de logements. J’ai discuté ce matin avec des propriétaires de résidences étudiantes, ils ont passé tout l’été à dire aux parents, aux candidats aux logements étudiants, qu’il n’y avait plus de place dès le 15 juin. Donc, tout l’été, ils se sont excusés en disant qu’ils n’avaient rien pour septembre : c’est fini, c’est saturé, il n’y a plus. Et il n’y a plus de permis de construire et la population continue d’augmenter. Voilà la situation dans laquelle il va falloir demander des Permis de construire pour presqu’un millier d’usines !

La décentralisation a, paraît-il, été une grande conquête. Je suis pour qu’on revienne partiellement sur cette conquête si les politiques locales se traduisent par le crayon posé sur les permis de construire, l’entre-soi démographique et l’incapacité à installer sur les territoires les nouveaux outils de travail. En clair : dès qu’il y a tension sur le marché et/ou spéculation sur le foncier, et que les élus ne bougent pas, le Préfet doit pouvoir délivrer les permis de construire en substitution des maires inertes. C’est ma proposition.

Réindustrialiser c’est aussi créer un million d’emplois et les logements qui vont avec. Est-ce que vous savez qu’avec les deux gigafactories de Dunkerque qui se sont construites, qui sont en cours de construction, il n’y a déjà plus de logements à Dunkerque et donc que l’on ne peut plus aller travailler à Dunkerque ? Ça va être des usines sans personnels ? Avec des robots ?

Bref, ces questions-là doivent être traitées. Elles ne le sont pas. Elles ne sont pas envisagées. Il va falloir, là encore, prendre le taureau par les cornes si nous voulons des résultats. Comme précédemment proposé, il nous faudra des permis de construire qui soient repris par l’État sur des territoires qui voudront implanter une usine et du travail. Il y a environ 1’000 communautés de communes en France : les préfets peuvent lancer l’appel d’offres en disant aux élus quelles sont les terres, les territoires, les fonciers qu’ils souhaitent consacrer à la réindustrialisation. Nous pouvons alors décider de les geler sur les prix et de faire en sorte qu’il n’y ait plus de spéculation sur le sujet donc, de les sortir du marché avec le permis de construire à la main.

Une loi peut parfaitement fixer un prix donné ; il s’agirait d’une quasi-expropriation mais avec le consentement des communes puisque c’est elles qui seront soit les propriétaires soit celles qui disposeraient du droit de construire. On leur dit : « écoutez les amis, c’est là que nous allons construire, ce sera des usines, c’est l’État qui délivre le permis de construire. Madame ou monsieur le maire, vous êtes obligés de le faire, au nom de l’État. C’est l’État qui donne le permis de construire sur décision du préfet, donc vous êtes dans une relation hiérarchique avec le sous-préfet de votre arrondissement qui pilote la renaissance industrielle du territoire ».

6 L’indispensable planification industrielle et territoriale

Et comme toute réindustrialisation, elle ne peut fonctionner qu’avec un système de planification.

Quel secteur ? Quel choix ? Où est-ce que nous allons mettre l’argent public ? Alors pour l’instant, c’est 50 milliards, c’est à peu près fait dans les formes qui conviennent. Il en faut six fois plus. Donc à partir de là, comment faudrait-il faire ?

On peut piloter sur les secteurs, on peut piloter sur les objectifs industriels, on peut aussi, par conséquent, piloter la répartition territoriale. Et à partir de ce moment-là, on est déjà dans la reconstitution de la Datar.

Je revois à cet instant l’Alouette, cet hélicoptère gouvernemental aux couleurs de la France avec Olivier Guichard et Georges Pompidou, en train de survoler les villes nouvelles qui allaient sortir de terre quand ils ont créé la Seine-Saint-Denis et quelques départements issus de la Seine inférieure ou supérieure, je ne sais plus. Toute cette nostalgie-là est celle de la planification, une ardente obligation comme disait le général de Gaulle. Mais c’est aussi l’outil politique le plus intelligent qu’on ait jamais conçu avec lequel il faut rapidement renouer.

La planification ? On me dit : « mais c’est le Gosplan soviétique ! » Je réponds alors au libéral : « pourtant vous, le libéral, vous faites tous les jours des business plans, vous faites des plans d’affaires dans vos entreprises, vous planifiez vos objectifs, et vous vous faites virer si vous ne les respectez pas ! »

Où est donc passée la planification de la décision publique ? On vit au jour le jour, on change de politique comme de chemise, un même Gouvernement est capable de changer ses dispositifs en toute impunité tous les 6 mois au point de déstabiliser les acteurs économiques. Où est passée la planification territoriale ?

La réindustrialisation est la meilleure occasion de reconstruire une planification indicative et convaincante. On va reprendre des Alouettes et la Datar. Et on va dire, cette fois-ci, que le plan de réindustrialisation privilégiera les territoires de la démétropolisation parce que si on décide de faire cette politique — et on en a besoin parce qu’on ne pourra pas suivre le rythme d’accumulation de population dans les Métropoles et sur les littoraux à ce niveau-là. D’ailleurs, les élus sont dans des situations inextricables puisqu’ils n’ont plus de matière fiscale, et sont obligés de financer des équipements. Donc on peut aussi comprendre ce conservatisme d’Arcachon, que vous avez tout à l’heure exposé, puisqu’il y a un désaccord entre la richesse créée par le surcroît de population et les charges qui s’en déduisent. La vision que je défendrai, c’est celle du retour des grands travaux, de Paul Delouvrier, grand commis de l’État artisan de la planification gaullienne, lui qui a tant lutté contre « Paris et le désert français » selon l’expression de Jean François Gravier.

C’est cette grande et admirable génération des Philippe Lamour, des Edgar Pisani qui ont fait le Languedoc et tous les systèmes d’irrigation. C’était une planification agricole du sud de la France et la valorisation de terres ingrates.

Nous pouvons et nous devons maintenant repenser à partir des candidatures des territoires qui se sont manifestés. Regardez la carte des candidatures actuelles, nommées « territoires d’industrie », ce sont des villes intermédiaires, moyennes, parce qu’il n’y a plus de place dans les métropoles. Par exemple : Le Creusot ou Chalon-sur-Saône, je ne sais pas si vous connaissez, c’est en Saône-et-Loire — vous savez, c’est la réplique de Marguerite Duras dans Hiroshima mon amour : « Nevers, tu ne connais pas, tu ne connais pas, c’est dans la Nièvre ». C’est cette France des sous-préfectures, c’est elle qui va candidater de plus en plus et qui a des besoins aujourd’hui d’activité économique pour financer les services publics, financer les équipements, pour financer les infrastructures, financer le surcroît de population, qui a commencé à venir. Ces territoires cherchent et ont besoin de croissance, pendant que les Métropoles vont devoir nécessairement amorcer leur décroissance. Dans le Grand Paris, pour 12 millions d’habitants, il y a eu 50 milliards d’investissements dans les réseaux ferroviaires, réseaux ferrés.

Il se trouve qu’en regardant ce qui se passe sur le territoire des lignes ferroviaires rurales qui ont été fermées depuis 20 ans, 30 ans, il y a à peu près 6’000 kilomètres en France de lignes ferroviaires qui ont été fermées.

Combien y a-t-il, en France métropolitaine, de personnes qui habitent à moins de 10 kilomètres le long de ces 6’000 kilomètres ?
— 10 millions de personnes.

Combien a-t-on investi de réseaux ferrés sur ces 6’000 kilomètres ?
— Zéro pour 10 millions de personnes.

Combien a-t-on investi pour 12 millions de personnes à Paris, en région parisienne ?
— 50 milliards.

Voilà. Ce sont des décisions politiques. On a fait des choix, calamiteux, que nous payons très cher aujourd’hui. On aurait pu dire « écoutez, il faut qu’on trouve le moyen d’équilibrer nos investissements ».

Alors l’affaire des réseaux express, des « RER provinciaux » — je ne sais pas comment dire, je ne sais pas si c’est des RER, ce n’est pas les TER, c’est autre chose. J’ai demandé à un président de métropole, un de mes amis, qui est celle de Grenoble, je lui ai dit « c’est quoi ce projet ? » C’est simple, ce sont des réseaux ferrés qui vont permettre de relier les métropoles régionales à toutes les villes où, tous les jours, des gens de plus en plus éloignés font de plus en plus de kilomètres. Et en fait, ça va accentuer la métropolisation, la concentration encore dans la métropole. C’est un peu des mini-TGV locaux régionaux : Les TGV et les fameuses gares à betteraves. J’ai deux gares TGV dans mon ancien département d’élection, vous avez 2’000 personnes qui font l’aller-retour chaque jour, qui font 1h20 de TGV, Paris/Le Creusot, qui vont travailler à Paris. Comme elle marche mieux que la ligne RER B, ce genre de nouveau banlieusisme campagnard rencontre le succès. Mais c’est quand même une manière aussi de vider la très très grande périphérie, puisqu’on est à 300 km de Paris.

Parmi les considérations datariennes que je voulais ici présenter, je voudrais ajouter que j’ai fait partie de ceux qui ont défendu, en parallèle de ce projet de réindustrialisation volontariste, en liaison avec une vision de démétropolisation, la valorisation de tous les biens vacants.

Il y a 3 millions de biens vacants, dans le diffus, l’ancien, les villages, avec une impossibilité pour les élus de régler les problèmes. Donc, ce sont des biens qui s’abîment, qui disparaissent et qui pourraient être utilisés. 3 millions, c’est la grande statistique. On pourrait déjà en valoriser 1 million. Il y a en Sicile un programme qui avait été monté, je suis allé voir sur place : très intéressant. Il y a un maire qui a racheté à vil prix quelques propriétés, les a données pour un euro à tous ceux qui voulaient s’y installer et procéder aux réparations à leurs frais. Ça a eu un succès monstre. Nous avons là une piste de politique publique si on veut bien assouplir le droit de l’expropriation au bénéfice de ce programme.

Oui, les valeurs fondamentales, telles qu’on les a imaginées il y a longtemps, doivent s’interpréter au regard des besoins nouveaux de la société.

On l’a fait sur l’environnement, on l’a fait sur la santé, on le fait aussi sous la pression des événements migratoires, on va devoir le faire sous la pression de l’impossibilité d’offrir, ce qui est quand même dans la Constitution, un toit à tous ceux qui résident sur le territoire.

Alors la proposition de reconstruire les villages dans les villages, qui a été faite par notre puissance invitante, je la trouve absolument séduisante. Au lieu d’imaginer des énormes objets complexes, lourds, à 3’200 euros le mètre carré, est-ce qu’on pourrait enfin, sans aller chercher la subvention, juste essayer de valoriser ce qui existe, les ressources qui sont entre nos mains, pour essayer non pas de rebâtir la ville sur la ville, mais déjà de recommencer à construire un tissu contemporain à partir des ressources foncières, humaines, économiques, techniques, à notre disposition ?

Bref, la Datar est impérieusement à recréer. Je vous invite donc, avec Olivier Guichard, à un joli nouveau voyage Datarien en Alouette aux plus belles couleurs de la France.

Réutilisation

Citation

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Veuillez citer ce travail comme suit :
Montebourg, A. (2024, January 18). Le combat pour une souveraineté française. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/le-combat-pour-une-souverainete-francaise.html