Le thème de ce colloque est absolument fondamental et, disons-le, un peu révolutionnaire sur le plan conceptuel, en matière d’urbanisme. Historiquement, l’urbanisme est une affaire de ponts et chaussées, de travaux lourds, de programmation. Cette vision, certes caricaturale, est pourtant celle qui a nourri les grands maîtres d’ouvrage de la fabrique de la ville — ainsi que les élus dans leur très grande diversité. Ouvrir ce colloque à l’institut de France est très inspirant. Vu la qualité des interventions et du programme de travail de ces deux journées, je suis certain qu’il apportera beaucoup au sujet : comment pense-t-on la ville ? Comment pense-t-on sa transformation ? Comment pense-t-on sa dynamique historique ?
C’est un thème qui m’est cher : Paris, en particulier, est une ville pleine de contradictions en matière de dynamique historique.
2 Paris, ville organique ?
Qu’est-ce qui se cache derrière les grands marqueurs de l’imaginaire symbolique parisien ?
Derrière les grands marqueurs de l’imaginaire parisien, il y a un pointillisme dynamique, que j’appellerais « sérendipité urbaine », dans lequel se sédimentent à la fois des pans de l’histoire collective et des morceaux d’histoires très individuelles. En matière réglementaire, nous essayons de stimuler cette sédimentation d’histoires via un document : le plan local d’urbanisme. Mais que peut le plan local d’urbanisme, sans les individus qui le mettent en œuvre selon des orientations et quelques grands enjeux qui s’y dessinent ?
En quoi l’histoire de Paris en fait-elle une ville organique ?
Paris, c’est d’abord l’histoire d’un lien, au sens étymologique, entre un bassin de vie marécageux, et un fleuve : la Seine. La puissance économique de Paris est indissociable du flux de marchandises sur la Seine. Au cours du premier millénaire, Paris était une ville assez marginale par rapport à nombre de villes de notre territoire, qui ont brillé beaucoup plus sur les plans économique, symbolique ou politique. Petit à petit, Paris s’est construit un chemin qui a été accéléré par des phénomènes historiques.
Qu’est-ce que la ville organique ? Est-ce l’inverse de la ville planifiée ?
Est-ce un concept en matière d’urbanisme, peut-être même de bio-urbanisme, qui consiste à miser sur l’idée de la coagulation de mouvements tels que la question sociétale du vivre ensemble ou de la densité désirable ? En tant que grand défenseur de la densité, notion qui fait en ce moment l’objet d’une bataille culturelle, ardue, j’insisterai sur le fait qu’elle est au cœur d’une alchimie à Paris que nous entendons défendre.
3 La ville organique à l’heure du changement climatique
Quelques enjeux sont apparus de façon supplémentaire pour notre ville, et pour le monde entier évidemment, mais enfin, nous en avons la charge à Paris et vous y êtes, en tant que professionnels, confrontés dans tous les endroits où vous travaillez : c’est la question du changement climatique.
Comment celui-ci peut transformer des climats tempérés en climats dans lesquels il existe des périodes régulières d’inhospitalité pour la vie en ville, sauf à lui donner les outils pour amortir le choc. Quand vous ramenez à Paris ces enjeux de changement climatique, vous observez à quel point l’évolution des températures est conforme à Paris, un peu plus élevée que d’ailleurs les moyennes internationales, puisque ce phénomène est exacerbé dans les écosystèmes urbains, mais la science documente de façon extrêmement rigoureuse cette tendance.
Les scientifiques insistent sur une deuxième chose dont les médias parlent moins, mais qui est aussi importante, c’est l’inéluctabilité du réchauffement climatique. C’est-à-dire que les mesures que nous prenons actuellement peuvent limiter le choc, mais elles n’empêcheront pas la croissance des températures moyennes. Les efforts que nous devons fournir collectivement sur le plan mondial, au titre des accords de Paris, correspondent à un objectif d’inflexion de la hausse, mais cela ne peut pas être d’empêcher la hausse. Il faut donc nous préparer à des phénomènes climatiques exacerbés qui vont percuter la ville. Ce sont des étés de plus en plus chauds, c’est la régularité de nuits de plus en plus chaudes, rentrant dans ces périodes que d’aucuns désormais connaissent, c’est-à-dire les canicules, et le caractère très pressant qu’elles imposent sur la qualité du bâti et la qualité de vie, en ville.
Et puis, autre phénomène lié au réchauffement climatique, là aussi, que l’on commence à découvrir, est l’exacerbation des phénomènes climatiques avec des pluies très augmentées, des sécheresses supplémentaires, des atypies climatiques par rapport aux caractéristiques habituelles de nos milieux de vie. Tout cela dans une période de temps extrêmement compacte par rapport au cycle habituel de changement du climat que connaît la planète. Nous devons préparer la ville à cela.
J’ai l’habitude de dire réarmer, mais désormais, nous nous sommes faits piquer le mot — il faut arrêter de le dire.
Ce sont des enjeux pour lesquels notre PLU va essayer de nous aider ; pas seulement le PLU, mais je n’aurai pas le temps de parler de tout. Ces enjeux, ce sont la mise en cohérence de notre plan climat, du plan local d’urbanisme et de l’ensemble des documents, tant ceux à portée réglementaire que ceux de nature plus politique, au sens d’orientation des politiques publiques que nous menons : tout doit contribuer à cet objectif.
4 L’objectif de neutralité carbone à horizon 2050
D’abord, l’objectif du plan climat, c’est l’objectif de la neutralité carbone à l’horizon 2050. Il impose des étapes intermédiaires extraordinairement importantes pour tout le monde, et évidemment pour Paris. Mais, comparé à d’autres grandes villes dans le monde, Paris a une qualité extraordinaire.
Vous voyez ici l’empreinte carbone de Paris en 2021 avec une toute petite nuance : en 2021, le niveau d’activité de l’aviation, en particulier de l’aviation civile des touristes, n’avait pas repris au plein niveau pré-COVID. Nous partons sur quelque chose d’extrêmement encourageant concernant la crédibilité de la capacité à s’engager sur une neutralité carbone d’ici 2050.
Nous avons deux grands contributeurs principaux. Il y a l’alimentation et puis les transports dans leur grande diversité. C’est à peu près une empreinte carbone deux fois inférieure à la moyenne des grandes villes comme Londres ou comme les grandes villes américaines. Pourquoi ? Parce que nous sommes une ville dense. La ville dense a des défauts, mais elle a surtout des qualités.
5 « La densité n’est pas un problème, c’est une solution »
Le premier des plaidoyers que nous devons imposer, certes avec des nuances, c’est que la densité n’est pas un problème. La densité est une solution, sur la question de la crédibilité — ou alors on ne dit pas que l’on va faire les accords de Paris — d’une trajectoire de neutralité carbone. Deuxième enjeu : l’évolution de la population parisienne et l’évolution de la démographie. La population parisienne baisse. Pourquoi ? Ce n’est pas vrai que les familles fuient Paris ou, plus exactement, les familles ont toujours un peu fui Paris. Et cela fait des siècles que cela dure, au titre des trajectoires résidentielles, au titre de l’augmentation du nombre d’enfants dans un foyer. Et puis au titre de l’atypie, de la structure de l’habitat parisien par rapport à d’autres villes.
6 Baisse de la démographie : quels sont les facteurs structurels ?
Il y a trois facteurs structurels de baisse de la démographie. Premièrement, la question du taux de natalité. Il faut réarmer la fertilité. J’essaierai d’expliquer qu’il y a d’autres pistes en politique publique, à mon avis, qui sont un peu plus facilement à portée de main. Mais la question de la baisse de la natalité est évidemment un sujet.
Deuxièmement, le sujet du vieillissement de la population. On en parle moins parce que ce n’est pas une mauvaise nouvelle de vivre plus longtemps, mais il y a des sous-occupations plus durables qu’avant. Et donc, évidemment, cela a une incidence sur le nombre d’habitants.
Le troisième facteur, ce sont les séparations des couples, tout simplement.
Ces trois facteurs cumulés nécessitent, toutes choses égales par ailleurs, plus de logements pour loger le même nombre de personnes. Et à ces trois facteurs s’ajoute un autre phénomène beaucoup plus préoccupant : la part des logements inoccupés. Vous observez que tout cela cumulé crée une espèce de corrélation statistique assez convaincante entre l’augmentation des logements inoccupés et la baisse de la taille moyenne des ménages, ce qui fait qu’à stock de logements constant, vous avez moins d’habitants qu’avant. Et deuxièmement, des phénomènes de contraction sur le stock de logements qui font que la population baisse.
7 Produire massivement du logement
Pour régler cela, il faut produire massivement du logement. Évidemment, il faudra continuer à en produire, notamment pour répondre aux enjeux structurels de démographie. Mais il faudra aussi résoudre ou en tout cas endiguer ce phénomène de logements inoccupés, meublés touristiques, résidences secondaires, qui prend des proportions inquiétantes et pour lesquels les pouvoirs publics locaux ne sont pas dotés de pouvoirs suffisants pour réguler en fonction des réalités de leur territoire — je ne crois pas que cette question s’analyse et se règle de façon homogène dans l’ensemble des villes, de la même façon.
8 Le PLU bioclimatique : un PLU révolutionnaire pour l’environnement ?
Le PLU bioclimatique va venir nourrir cet enjeu d’un urbanisme de production, un urbanisme à l’ancienne, mais surtout d’un bio-urbanisme d’adaptation de la ville.
Vous avez ici une représentation résumée d’un projet permis par le PLU actuel. Vous connaissez ce phénomène de construction dans les cœurs d’îlots, etc. Certains gabarits qui sont transformés par les règles du PLU. C’est évidemment très simplifié, mais je crois qu’on en comprend l’esprit. Voilà ce que permettra, sur une parcelle identique, le PLU bioclimatique avec des principes qui sont :
- Le gabaritaire doit permettre de monter plus haut ;
- La protection des cœurs d’îlots, des circulations d’air.
Nous voulons faire la démonstration que le PLU bioclimatique est un PLU révolutionnaire sur le plan de l’ambition environnementale. Il n’est pas un PLU d’empêchement, mais un PLU de transformation de la ville et de production de logements.
9 Vers un urbanisme organique
Dernier point : c’est la question de savoir comment on transforme une ville organique aussi pleine comme un œuf que l’est Paris.
Il y a quelques zones d’aménagement encore, mais enfin, nous avons abouti, et c’est pour cela que nous allons passer à un urbanisme organique. Pourquoi ? Parce que nous aurons fini d’aménager Paris au sens des outils classiques de programmation et de planification en matière d’urbanisme. Nous allons devoir travailler la ville sur elle-même, ce qui est une tradition extrêmement ancienne à Paris. Donc, nous savons faire. Ils l’ont fait bien avant nous. Nous allons poursuivre ce travail et travailler sur de la dentelle, sur du pointillisme en matière urbaine. Par exemple, à travers l’identification de notre objectif de 300 hectares supplémentaires visant à avoir 10 mètres carrés d’espace vert ouvert au public.
La carte précédente, c’est l’état actuel et celle-ci, c’est le travail interstitiel dans lequel nous avons identifié un potentiel de 300 hectares supplémentaires (chacun de ces points vert clair qui est apparu). Évidemment, ce sera très compliqué. Pour certains, ce sera très facile parce que les travaux sont déjà engagés, ils seront livrés dans les mois prochains ; pour d’autres, ce sera plus compliqué. Mais c’est ce travail extrêmement détaillé qui nous permettra de remplir les objectifs.
Réutilisation
Citation
@inproceedings{grégoire2024,
author = {Grégoire, Emmanuel},
publisher = {Sciences Po \& Villes Vivantes},
title = {Paris, ville organique : fruit de siècles d’histoire et de
ferveur},
date = {2024-01-18},
url = {https://papers.organiccities.co/paris-ville-organique-fruit-de-siecles-d-histoire-et-de-ferveur.html},
langid = {fr}
}
1 Comment pense-t-on la dynamique historique d’une ville ?
Il y a d’abord le Paris que l’on connaît : celui des grands travaux, de la grande planification et de l’empreinte historique laissée par les grands maîtres d’ouvrage des deux millénaires qui se sont écoulés. Je pense aux rois et à l’ensemble des autorités qui ont incarné l’émergence d’un État moderne. Paris est une ville d’héritage de la volonté des rois, de la volonté des prévôts — qu’ils soient d’ailleurs les prévôts des marchands ou les prévôts du Roi. Pourtant, ce n’est pas là que résident l’histoire, l’origine et la constante historique de la ville de Paris, pas plus que celles des villes européennes. Qu’est-ce qui fait la singularité de l’histoire des villes européennes au regard des enjeux que nous souhaitons traiter aujourd’hui ? Comment répondent-elles à une intention politique de transformation de la ville, stimulable moins par une vision de la planification rigoriste que par une vision de la ville organique ? Définir la ville organique sera d’ailleurs sûrement l’un des enjeux du colloque, parce que c’est un concept éminemment innovant.