Passer à  l’échelle le covoiturage du quotidien dans les métropoles françaises

Retranscription de la conférence du 18 janvier 2024 à l’Institut de France (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

Blablacar Daily

Date de publication

18 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

Bonjour à tous, Adrien Tahon, je suis directeur général de BlaBlaCar Daily, qui est une application de covoiturage domicile-travail dédiée au covoiturage quotidien dans le groupe BlaBlaCar.

J’ai eu la chance de voir le lancement de ce service chez BlaBlaCar puisque je suis, depuis dix ans, à différents postes. Aujourd’hui, je voudrais essayer de répondre un peu à « comment passer à l’échelle le covoiturage du quotidien dans les métropoles françaises » … puisqu’il y a plein d’initiatives, plein de modèles différents, plein de choses qui sont en train de commencer à fonctionner, et répondre à comment nous voyons une collaboration avec les métropoles pour passer à l’échelle.

Avant ça, je pense que je dois quand même contextualiser BlaBlaCar Daily, cette application dans BlaBlaCar, pourquoi on a lancé ça, pourquoi ça existe aujourd’hui, d’où ça vient. Donc je vais juste faire un petit pas en arrière et prendre un peu de recul. BlaBlaCar a été créé en 2006, donc c’est une époque où je n’avais pas encore mon bac, l’iPhone n’existait pas, on ne parlait pas de Facebook, Instagram ou TikTok mais de MySpace. Ce que je suis en train de dire, c’est que la technologie était extrêmement différente. À l’époque il y avait assez peu d’acteurs (publics ou privés) qui s’intéressaient au sujet du covoiturage et de comment on mutualise les voitures directement sur les routes. On est 18 ans après aujourd’hui, et on a une mission claire qui est d’être la plateforme référence pour les voyages partagés, que ce soit en covoiturage ville à ville, covoiturage quotidien avec BlaBlaCar Daily, en bus, et probablement en distribuant des billets de train dans le futur également. Bref, proposer aux gens toutes les possibilités, toutes les alternatives pour leur trajet.

Il y a plein d’enseignements historiques de BlaBlaCar qui nous servent aujourd’hui au quotidien. Le premier, quand je montrais 2006, c’est que c’est du temps long. Beaucoup de gens ne sont pas au courant que BlaBlaCar existe depuis 2006. Pour beaucoup de gens ça a été un succès instantané : en 2013-2014, décollage — pas du tout, il y a une longue traversée du désert. Sur le covoiturage quotidien c’est un peu pareil, un changement d’habitude, un changement de comportement, ça va demander du temps long, de l’investissement dans la durée. C’est quelque chose d’hyper important dont on va se souvenir pour la suite de la discussion. Ce n’est pas juste trouver la bonne solution pratique, technique pour que les gens l’adoptent, il y a une énorme phase d’adoption à mettre en œuvre. Donc le premier élément pour passer à l’échelle du temps long de l’adoption.

Le deuxième, c’est un aspect de communauté que je vais mettre en avant fortement aujourd’hui. Si on parle de BlaBlaCar globalement aujourd’hui, c’est une de nos forces. En 2022, c’est 26 millions de membres uniques — quand on dit un « membre unique », c’est chacun de nous, qui a voyagé au moins une fois dans l’année avec BlaBlaCar à travers le monde. On va voir comment on met cette communauté au service d’un déplacement très local avec la métropole.

Quelques chiffres qui permettent de mettre en perspective ce dans quoi s’inscrit BlaBlaCar Daily : je mentionnais 26 millions de membres actifs, un peu plus de 800 sont d’ailleurs employés aujourd’hui, la majorité en France, pas très loin d’ici à Bastille, et donc un développement mondial et un vrai savoir-faire sur comment on passe à l’échelle. La force de la communauté est donc très complémentaire avec ce que montrait mon camarade Thomas précédemment. Si, aujourd’hui, on regarde BlaBlaCar globalement : il y a deux millions de points de rencontre chaque année et vous imaginez bien qu’avec de l’infrastructure au début c’est très difficile à créer. On peut après les mapper sur une infrastructure ou créer une infrastructure autour de ça, mais dans le covoiturage aujourd’hui on connecte deux millions de points de rencontre chaque année. Quand on dit qu’on « connecte », c’est que c’est un endroit où passagers et conducteurs se retrouvent ou se séparent.

Figure 1

D’autres exemples mentionnent un peu le poids de la communauté et son pouvoir : si on prend l’Espagne, c’est moins dense que la France, il y a moins d’habitants et un petit peu moins de trajets. Pourtant, en Espagne, sur les douze derniers mois, BlaBlaCar a connecté 86% des 8’000 communes espagnoles. C’est énorme. Sachant que sur ces 86% la moitié compte moins de 1’000 habitants et près de 700 avait moins de 100 habitants.

Ce que je mentionnais en premier c’était le temps long, l’adoption. Le deuxième c’est la communauté et la granularité : le poids de cette communauté va nous permettre de faire émerger un réseau très fortement. On parle toujours de la longue distance, on va arriver avec la même chose sur la courte distance. Le chiffre que je viens de mentionner (86%) en Espagne, si on regarde la France c’est 91%. Donc c’est assez énorme.

Le troisième aspect c’est une complémentarité entre ce qu’on crée avec la communauté — là où les gens sont réellement — et les flux déjà existants de transports structurés, de transports en commun classiques. La complémentarité, on la voit comment sur la longue distance ? Si on regarde la France, plus de 80% des passagers sur nos bus (avec la marque BlaBlaCar) passent sur les 200 plus gros axes français, donc des Paris-Lille, Paris-Rennes, là où, comme le mentionnait Thomas, il y a une mutualisation possible. En covoiturage sur BlaBlaCar, plus de 90% des covoiturages se passent en dehors des 200 plus gros axes, donc on a une énorme complémentarité entre ces différents moyens de transport.

Là, on était sur le contexte global BlaBlaCar, depuis 18 ans avec une grande échelle et quelque chose qui fonctionne déjà à l’échelle. Passons à BlaBlaCar Daily qui en fait, pour l’anecdote, est un peu un retour aux sources pour BlaBlaCar. Pourquoi je dis ça ? Parce que la vision initiale des fondateurs était le covoiturage du quotidien et, en fait, 2006, 2007, 2008, les premières années, l’équipe fondatrice et Frédéric Mazzella vendaient des plateformes de covoiturage aux entreprises.

C’était le tout début, ça ne marchait pas à l’époque pour plein de raisons, des raisons de financement sur lequel nous allons revenir, des raisons technologiques où la technologie n’était pas aussi fluide que maintenant, des raisons d’adoption comme je le mentionnais. C’était peut-être trop tôt à l’époque, et donc il y a eu une espèce de long virage sur un autre type de covoiturage, plus facile bien que quand même très difficile à mettre en œuvre, avant de revenir maintenant sur du covoiturage du quotidien.

Je vais présenter rapidement BlaBlaCar Daily et, après, venir sur le passage à l’échelle. Le lancement a eu lieu en 2018 — donc nous sommes 12 ans après le lancement initial de BlaBlaCar, nous revenons aux sources avec une application dédiée aux trajets domicile-travail. L’idée est vraiment de prendre le point de départ, le point d’arrivée des conducteurs et conductrices sur leur trajet du quotidien, de les mettre en relation et qu’ils partagent leur trajet.

Figure 2

Nous avons une application séparée parce que l’usage va être très différent, le modèle économique va être très différent. Typiquement sur des trajets ville à ville BlaBlaCar, c’est assez rare de voyager deux fois avec la même personne. Vous allez trouver une nouvelle conductrice à chaque fois, un petit peu comme le TGV où c’est assez rare de vous retrouver deux fois à côté de la même personne sur votre Paris-Nantes ou votre Paris-Rennes. Sur le covoiturage domicile-travail, c’est assez différent : dans le mode planifié que nous développons, vous allez rencontrer un groupe de covoitureurs, ce que l’on appelle un « équipage ».

Au moment de votre inscription, vous faites votre recherche, vous découvrez les gens avec qui vous pouvez voyager, vous allez essayer ceux avec qui ça marche, avec qui c’est possible… et en général au bout de quelques semaines on a rencontré 4-5 personnes avec qui ça marche bien et on va vouloir répéter l’expérience avec eux. On se dit alors que c’est un bon fonctionnement, que c’est le bon moyen. Nous avons donc une application séparée pour permettre ça, pour facilement retrouver les gens avec qui ça marche bien.

Ce genre d’équipage peut durer comme un couple, de quelques semaines à quelques années. Ce qui se passe souvent c’est que les gens commencent à covoiturer et au bout de quelques mois ou années, l’un va déménager, changer de travail, il faut trouver une autre personne. Cela permet aussi d’intégrer des gens plus « ponctuels », qui de temps en temps vont rejoindre l’équipage.

Le modèle de développement s’appuie énormément sur les entreprises : Trelborg à Clermont-Ferrand ou Amazon, Disney en Île-de-France, qui vont faire la promotion du covoiturage du quotidien auprès de leurs collaborateurs. C’est un des leviers de communication extrêmement fort. Également les collectivités territoriales : 90 partenaires que je vais montrer après, qui vont faire la promotion et subventionner les trajets effectués pour en faire un vrai transport du quotidien des gens.

En termes de chiffres, cela décolle enfin. On a enfin de l’usage à grande échelle. Le nombre de trajets sur BlaBlaCar Daily l’an dernier en 2023 : 7 millions de trajets en covoiturage du quotidien. Pour le mettre en perspective, on était aux alentours de 4 millions en 2022 et, en ce moment, si on voit la tendance sur le début janvier, on est déjà sur un rythme de 10 millions par an.

Figure 3

Donc la tendance est vraiment au décollage et on a enfin un usage très très fort. Le côté collectivité que j’ai mentionné, c’est la présence locale aujourd’hui de BlaBlaCar Daily sur 90 collectivités partenaires.

Figure 4

Je vais terminer sur le modèle, et ce qu’il faut pour que cela fonctionne à grande échelle. Il y a quatre points que je voudrais souligner :

Sur les trajets du quotidien, prenons le transport public : si, dans une capitale comme Paris, on payait le vrai coût du titre de transport à chaque fois, les gens ne prendraient pas le métro. On aurait des scooters, des voitures, d’autres moyens de transport mais on ne les prendrait pas. Sur le covoiturage du quotidien c’est un peu la même chose : pour motiver des conductrices et des conducteurs, il faut une rétribution financière. On mentionnait tout à l’heure 2 euros — cela peut monter de 1, 5 à 5, 6 euros — pour que la personne soit motivée à dire : « OK, je vais prendre des gens ». C’est ce qu’on appelle « l’inventaire », soit comment on arrive à rendre les sièges disponibles, visibles et réservables.

Côté passagers, on touche des gens qui ont déjà une voiture, qui sont autosolistes, qui sont seuls dans leur voiture. Comment les convaincre de lâcher leur voiture et de monter en tant que passager ? Il faut qu’il y ait un avantage financier très clair, cela veut dire qu’on arrive à faire payer des passagers 50 centimes, parfois 1 euro, mais pas beaucoup plus. Au-delà, les passagers se disent : « je préfère prendre ma voiture », et on ne parvient pas à leur faire complètement lâcher la voiture à grande échelle.

Donc il faut financer cela, et on le finance en partenariat avec les collectivités aujourd’hui. Nous acceptons qu’il faille un changement de comportement, un changement d’habitude qui prend du temps, donc il n’y a pas de solution miracle. C’est quelque chose qui reste nouveau. Nous nous appuyons sur une communauté déjà convaincue par le covoiturage, qui est plus sensible, qui est prête à le faire. Donc on peut promouvoir un service, non pas en partant de zéro, mais en disant qu’on a déjà des gens qui vont être convaincus si on leur propose quelque chose de concret au quotidien. Le troisième point est un travail main dans la main avec entreprises et collectivités pour s’assurer que ce que l’on développe comme réseau est pertinent, au bon endroit, au bon moment. Et le quatrième, c’est le financement, qui aujourd’hui passe principalement par les collectivités. Pas uniquement, il y a aussi le forfait mobilité durable du côté des employeurs qui est moins développé, à une moins grande échelle… mais on peine encore à rendre compte qu’un financement est nécessaire pour faire développer cet usage. Sans cela, nous n’arriverons pas à passer à la grande échelle.

Réutilisation

Citation

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Veuillez citer ce travail comme suit :
Tahon, A. (2024, January 18). Passer à  l’échelle le covoiturage du quotidien dans les métropoles françaises. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/passer-a-l-echelle-le-covoiturage-du-quotidien-dans-les-metropoles-francaises.html