Que se passe-t-il quand les crises du logement durent ? Le laboratoire britannique

Retranscription de la conférence du 19 janvier 2024 à Sciences Po (Paris)
Colloque Organic Cities

Auteur
Affiliation

Sciences Po Paris & CNRS

Date de publication

19 janvier 2024

Modifié

20 mars 2024

Cette intervention repart des questions posées en introduction de cette session : et si nous continuions à ne pas construire ? Et si nous continuions, sur la moyenne durée, à ne pas investir dans le logement ? Faut-il prendre des cas expérimentaux ?

Il se trouve qu’il existe un pays où cela s’est produit. Il s’agit d’une île pleine d’Anglais, qui se trouve juste à côté, et qui s’appelle « le laboratoire britannique » — il faut toujours se rappeler que les Britanniques, c’est un laboratoire. Alors en général, en France, nous nous disons que c’est la Grande-Bretagne, ce n’est pas très important, ça n’arrivera jamais chez nous. Je me rappelle que nous disions cela à l’époque de Mme Thatcher.

Finalement, il y a beaucoup de choses qui arrivent quand même, dix ans plus tard. Et puis d’autres qui n’arrivent pas. Ça vaut donc la peine de regarder pour constater les effets de moyen terme de ce genre de politiques. C’est ce que je vous propose de faire.

1 Que devient le laboratoire britannique où le choix a été fait de ne plus construire ?

Rappelez-vous de Theresa May, grande penseuse britannique qui avait d’ores et déjà négocié le Brexit. Quand elle était en campagne pour devenir le leader du Parti conservateur, elle a eu cette phrase merveilleuse : « Oh ! Si l’on ne s’occupe pas du déficit de construction, les jeunes ne pourront pas avoir accès au logement ! » La division entre ceux qui héritent et ceux qui n’ont plus accès au logement va devenir absolument centrale dans le cas britannique. Elle n’avait donc pas tort.

Les sciences politiques, par l’analyse précise des résultats du vote sur le Brexit, ont permis d’établir une relation extrêmement claire entre ceux qui ont des mauvaises conditions de logement et ceux qui ont voté pour la sortie de l’Europe, toutes choses égales par ailleurs. Et nous commençons à voir dans nos travaux de sciences politiques en France, que la question d’avoir accès au logement est de plus en plus difficile. Dans certains territoires, le logement a une influence sur le vote et notamment sur le vote Rassemblement National. Cela a des conséquences politiques qu’il faut regarder à long terme.

2 Le sous-investissement de long terme dans le logement

Figure 1

Il faut rappeler, quand on compare la Grande-Bretagne avec la France, que ces deux économies sont à peu près de la même taille et, quoi que l’on raconte, cela dure depuis 40 ans. Il n’y a pas énormément d’écarts entre les deux pays. Ils ont à peu près la même population. Cela est d’ailleurs intéressant pour observer nos sujets de logement, d’autant que, pour le coup, ils présentent deux modèles politiques très différents. C’est ce qui fait que la comparaison est intéressante.

Figure 2

Il faut se rappeler que le choix politique des Britanniques est celui d’un État qui investit peu dans les infrastructures. Quand vous regardez le pourcentage de l’investissement lié au PIB, on différencie les pays qui investissent beaucoup de ceux qui investissent beaucoup moins, dont les Britanniques.

Vous savez qu’un fameux Premier ministre espérait qu’un jour la Grande-Bretagne soit le Hong Kong ou le Singapour de l’Europe et, qu’à un moment donné, ils ont fait un effort dans ce sens-là en réduisant l’investissement massivement. Cela a eu des effets.

Figure 3

Autre point de comparaison : l’évolution des prix sur les 23 dernières années. Les deux courbes roses et bleues représentent la France et la Grande-Bretagne. Au total, sur 20-25 ans, nous notons à peu près les mêmes évolutions de prix, pas tout à fait les mêmes séquences, mais l’évolution des prix est assez similaire et c’est aussi vrai sur Paris et Londres, même si Paris a un peu rattrapé Londres. Ce sont donc des cas intéressants à comparer.

Figure 4

Je vais vous rappeler deux choses qu’il faut avoir en tête lorsque l’on aborde le cas britannique. La première chose est qu’il s’agit d’une économie où le salaire moyen et les revenus médians ne sont pas très différents en termes d’évolution de ce que l’on a connu dans le cas français, bien qu’un peu inférieur tout de même. Il y a eu une baisse du revenu moyen pour les habitants mais, ce qui est très important, c’est qu’il y a eu une augmentation par rapport à la France des revenus pour les couches supérieures et, à l’inverse, une très forte diminution des revenus pour les couches modestes. Autrement dit : il y a eu un important renforcement des inégalités dans le cas britannique ces 20 dernières années.

Figure 5

Cela s’observe lorsque nous le mesurons via l’indice de GINI : les Britanniques ont fait un grand pas en avant vers le système américain, ce qui implique un renforcement très significatif des inégalités.

Tout ce que je vais exposer concernant le logement n’est pas sans lien avec cela. Il y a des effets de ces évolutions de revenus qui auront des effets sur le logement et, à l’inverse, les effets sur le logement auront aussi des effets sur ces inégalités.

Sans refaire en détail la trajectoire historique du logement britannique, rappelez-vous quand même que c’est le pays de la révolution industrielle et que les villes britanniques sont avant tout des villes industrielles. Ce n’est pas le même modèle que celui des villes européennes.

Figure 6

Autrement, c’est aussi une histoire d’important investissement, après 1945, dans le logement. La grande rupture intervient avec Mme Thatcher, quelle grande leader politique. À l’époque, nous disions, en sciences politiques : « Les élus ne sont plus capables de changer un pays ». Elle nous a tous donné tort. Elle a profondément transformé son pays et il faut lui reconnaître cela.

Figure 7

Ensuite, toute la période Blair-Brown a été considérée comme le « keynésianisme privé », soit l’idée de ne pas trop développer l’investissement public, en tout cas pas dans le logement, tout en renforçant par contre la financiarisation des ménages pour qu’ils puissent massivement s’endetter et augmenter leur capacité à avoir accès au logement. Se présente alors une décennie de croissance d’accès au logement soutenu par une forme de keynésianisme privé lié au marché financier et à la libéralisation de la finance à la City de Londres. C’est un modèle très alternatif.

La troisième chose à garder en tête, c’est que nous parlons souvent d’austérité budgétaire en France. Pourtant, lorsque nous regardons l’évolution des budgets en France, ces 25 dernières années, cela semble un peu excessif, notamment en comparaison avec la Grande-Bretagne.

Figure 8

À l’époque, Osborne et Cameron ont réalisé la plus grosse cure d’austérité qu’on n’ait jamais vue en Europe occidentale — soit moins 40% pour les autorités locales. Imaginez, à Marseille, que Vincent Fouchier se retrouve à gérer un budget perdant 40% de son enveloppe en 5 ans. 20% des autorités locales britanniques sont actuellement en quasi-faillite. Cela signifie que tout l’investissement a été extrêmement réduit dans un ensemble de domaines, dont le logement.

Figure 9

Cela se remarque sur la moyenne durée. Quand vous regardez l’évolution de 1975 à 2014, la Grande-Bretagne est, avec les États-Unis, le pays qui a le moins construit par rapport aux autres grands pays. Sur 30 ans d’évolution, c’est un pays qui a décidé, collectivement, de ne pas investir et de ne pas construire de logements. Que se passerait-il si nous faisions cela pendant 20 ans en France ?

3 Quelles sont les conséquences de l’arrêt de l’investissement en faveur du logement pour un pays ?

Figure 10

Des calculs montrent qu’entre 1955 et 2015, les Européens ont construit 15% de plus de logements que les Britanniques. En France, nous sommes plutôt à 20% : nous avons construit depuis l’après-guerre, sauf le boom pendant 10 ans, 20% de logements de plus que les Britanniques à population plutôt égale. Nous avons donc un stock de logements qui est extrêmement différent. Il manque, à grosse maille, environ 5 millions de logements et 3 millions de logements sociaux par rapport à la France.

Figure 11

Nous observons les évolutions dans le temps, avec la période des années 50-60, où l’on construit quand même pas mal. Et ensuite, nous voyons la période lors de laquelle, malgré des politiques publiques mises en œuvre pour renforcer l’accès aux logements, Madame Thatcher a amorcé la privatisation des logements sociaux. Les locataires ont eu le droit d’acheter leurs logements dans le parc social. Cela a été la grande politique du logement mais qui n’a pas engendré de phénomène d’entraînement ensuite. L’idée était, ensuite, de construire de nouveaux logements mais cela ne s’est pas passé ainsi. Cela a d’abord concerné les logements sociaux appartenant aux autorités locales et, depuis 2016, ce droit concerne également les logements qui appartiennent aux associations, aux housing associations, qui construisent du logement avec un statut un peu particulier.

Figure 12

Au bout du compte, aujourd’hui, le Royaume-Uni présente une proportion de logement par habitant bien plus basse que celle des autres pays et, bien entendu, que celle de la France — d’autant que nous avons continué, notamment dans les années 2010 à construire de manière conséquente. Nous avons eu une construction importante de longue durée. Évidemment, le logement, c’est de la longue durée, ce n’est pas du court terme.

4 Comprendre les effets en termes d’inégalité de longue durée

Figure 13

Un autre point sur lequel je voudrais insister est la compréhension des effets en termes d’inégalité de longue durée.

Dans une société, il existe des mécanismes de court terme de production d’inégalité et des mécanismes de longue durée. Prenons la baisse significative de l’impôt sur l’héritage dont on voit des effets en France, mais aussi, à beaucoup plus grande échelle en Grande-Bretagne.

L’impôt sur l’héritage fait qu’aujourd’hui un couple britannique peut transmettre un million d’euros à ses enfants sans aucun impôt. Il faut juste s’y prendre 7 ans avant de mourir. L’important est de comprendre cette combinaison, cette dynamique entre, d’un côté le cycle haussier du prix du logement pendant une vingtaine d’années et de l’autre, la baisse de l’impôt sur l’héritage. Cette combinaison-là est absolument terrible dans la production d’inégalités de longue durée. Et c’est cette combinaison qui fait que le modèle britannique est redoutable en termes de production d’inégalités massives de longue durée et sur lesquelles nous aurons bien du mal à revenir.

Figure 14

Voici les effets sur l’augmentation du prix du logement, c’est un phénomène habituel. Évidemment, en Grande-Bretagne, comme en France, l’augmentation des prix du logement a créé des inégalités très fortes entre la ville superstar de Londres et le reste du pays et les écarts se sont énormément accrus entre les prix au nord et au sud du pays.

La Grande-Bretagne est un pays qui a fait le choix, depuis longtemps, de ne pas mener de politique d’aménagement du territoire ; donc les écarts entre le nord et le sud du pays sont en très forte croissance. La théorie économique du ruissellement aurait été proposée par Madame Thatcher mais, 40 ans après, nous n’en voyons toujours pas les effets. Un jour peut-être.

Cela veut dire que ceux qui étaient propriétaires dans la région londonienne, plus âgés, sont devenus les immenses gagnants et les riches britanniques. Ce phénomène est renforcé par le fait qu’ils ont la possibilité de transmettre cette richesse à leurs enfants ou leurs petits-enfants sans payer d’impôts, ce qui produit une division de la société extrêmement forte entre ces différents groupes.

La grande première évolution concerne donc le sous-investissement dans le logement et la deuxième, nous le voyons à travers le cas britannique, concerne la déconnexion entre les mécanismes de production du logement et les besoins de la population.

Figure 15

Les Britanniques produisent entre 200’000 et 250’000 logements par an. D’après les calculs que font nos collègues économistes, pour rattraper le retard par rapport à la France, il faudrait qu’ils en produisent 650’000 par an. Donc, pendant plusieurs décennies, les chances que les Britanniques rattrapent leur retard par rapport au reste de l’Europe en termes de production de logements sont extrêmement faibles.

Ce qui est intéressant à comprendre, c’est qu’une fois que le choix a été fait de ne pas investir dans le logement, récupérer le retard est quasiment impossible du fait de phénomènes d’accumulation extrêmement lourds.

Figure 16

Ce qui est intéressant également, dans le cas britannique, sont les multiples politiques visant à encourager l’accès à la propriété qui ont, globalement, échoué. C’est-à-dire que, face à l’échelle des phénomènes, tout un ensemble de politiques publiques n’ont pas produit les effets escomptés. C’est l’exemple classique de Help to Buy.

Nous avons des bases de données sur toutes les politiques du logement et tous les instruments des politiques du logement. Aujourd’hui, nous avons identifié 181 instruments de politiques du logement en France. Cela veut dire que, quand vous en rajoutez un 182ème, il y a des chances que cela ait des effets avec les autres, ce que personne ne regarde. Et après, on s’étonne que, parfois, les politiques n’atteignent pas leur but. Il est nécessaire de regarder la machinerie interne de la mise en œuvre des politiques publiques. Les bonnes idées c’est bien mais il y a un stock de politiques publiques qui n’atteignent pas les effets attendus, voire pire, qui empêchent les nouvelles politiques d’atteindre leur but.

Là, en Grande-Bretagne, nous avons réalisé ce travail sur les instruments de politique publique. Les mesures prises n’arrivent pas à atteindre leurs effets, parce qu’elles sont en contradiction avec tout un ensemble de règles qui existent.

Figure 17

Evidemment, cela ne va pas s’arranger alors que nous continuions à couper les budgets cette année. Un fond a toutefois été créé en 2017, le House Building Fund, afin de relancer la construction de logements. Finalement, seulement un tiers a été dépensé. C’est-à-dire que, même quand l’État donne de l’argent pour construire des logements, cet argent n’est pas dépensé. Pourquoi ? Les politiques publiques, c’est le diable dans les détails. Car il s’agissait d’une forme d’appel à projet avec une très forte centralisation et de contrôle de l’État central et les autorités locales n’ont pas été capables de répondre à toutes les contraintes qui avaient été imposées.

La Grande-Bretagne est aussi caractérisée par le fait qu’elle est le pays le plus centralisé d’Europe. Nous observons que l’État a choisi de mettre en œuvre des mécanismes de recentralisation afin d’être plus efficace sur les politiques du logement mais cela a eu exactement l’effet inverse. Il faut donc faire attention aux tentations centralisatrices, parfois.

Figure 18

Autre point sur lequel il faut insister : le territoire. Dans le cas britannique, nous pouvons regarder où l’on construit et où l’on ne construit pas. Cela indique la capacité des autorités locales à créer du logement. Nous trouvons exactement ce qu’Emmanuelle Cosse disait tout à l’heure : plus vous avez de la demande de logement dans des endroits riches, moins on construit de logement. À l’inverse, aucun problème pour construire dans des endroits où personne ne veut aller.

Figure 19

On construit donc du logement en Angleterre, notamment au nord, là où l’on est en surcapacité, mais on ne construit pas du tout au sud alors que c’est là que se trouve en sous-capacité et que les gens souhaitent venir. Cela représente un échec majeur de politiques publiques sur 20 ou 30 ans. De nombreuses politiques publiques ne fonctionnent pas, c’est le cas pour le logement en Grande-Bretagne.

Cela a un certain nombre d’effets, dont le fait que le taux de propriétaires est descendu de 10%, passant de 73% en 2007 à 63%, ou comme l’augmentation des loyers qui fait que de moins en moins de gens peuvent épargner et, à terme, acheter leur logement.

Figure 20

Comme en France, nous voyons une importante augmentation des sans-abris, l’allongement des listes de demandes de logements sociaux, ainsi que le développement d’autres formes de logements. Quand il n’y a pas assez d’offres, les prix explosent et les gens ne peuvent tout simplement pas accéder aux logements. Nous voyons donc se développer très fortement le logement informel. Désormais, à Londres, de nombreuses personnes aménagent une petite cabane au fond de leur jardin et la louent. On appelle cela des shacks.

En fait, toute une partie des immigrés arrivés récemment à Londres, habitent dans un logement informel au bout du jardin. Nous avons pu constater et mesurer cela grâce aux données satellite, récupérées à l’aide de drones ou de Google Earth. Cela a révélé que des centaines de milliers de gens vivaient dans du logement informel.

Lorsque l’on parle du logement informel, on pense immédiatement aux grandes villes d’Asie ou d’Afrique, pourtant c’est un sujet qui concerne aussi Londres. On ne construit pas beaucoup de logements neufs mais on met sur le marché de nombreux logements informels. Ce phénomène s’est considérablement développé.

Nous voulions développer la densité en première couronne, en petite couronne, en grande couronne : les Britanniques l’ont fait. Ce n’est pas passé par une politique gouvernementale mais cette densification est en forte augmentation dans le cas londonien.

Figure 21

On constate un véritable effet de génération, il y a deux types de jeunes anglais : ceux qui héritent et ceux qui n’héritent pas.

Figure 22

Nous nous sommes même aperçu à un moment donné que les banques anglaises étaient inquiètes. Il y avait de moins en moins de gens qui empruntaient pour acheter à Londres. Cela semblait bizarre mais la réponse est simple. C’est ce qu’on appelle la “Mom and Dad’s Bank”. Évidemment, ils avaient emprunté, mais directement au sein de la famille. On ne peut plus acheter à Londres sans hériter.

Nous commençons à voir, et le Conseil d’analyse économique l’a montré, des choses tout à fait similaires à Paris, bien que cela ne soit pas encore à la même échelle. C’est massif dans le cas britannique et cela engendre une très forte augmentation du prix de logement avec des conséquences sur le type de société urbaine que l’on établit.

Figure 23

L’une des choses les plus étonnantes, pour un sociologue urbain qui va se promener à Londres, c’est le fait que tout un ensemble de gens qui ont 30, 40, parfois 50 ans, vivent et partagent à quatre une maison, comme des étudiants, ou des gens qui ont une vingtaine d’années à Paris. Mais, là aussi, nous commençons à observer des choses similaires à Paris et en banlieue parisienne. Un universitaire ne peut pas se loger seul à Londres par exemple. Ce partage de maison ou d’appartement est une autre façon de densifier, grâce à cette faible offre de logement… C’est intéressant.

Figure 24

Cette carte montre un indicateur calculé à partir de tous les chiffres du Financial Times qui synthétise tous les rapports qui sortent. Ils font toujours de très belles cartes. Nous voyons bien la surcapacité de logement dans le nord de l’Angleterre avec des quartiers entiers comprenant des maisons où il n’y a personne et que personne ne veut acheter. Si vous voulez investir, c’est le moment : ça ne vaut rien du tout. Et à l’inverse, dans le sud de l’Angleterre, là où il y a les emplois et alors que l’économie anglaise est encore plus concentrée qu’en France, nous constatons des sous-capacités extrêmement fortes — ce qui est, d’ailleurs, peut-être l’une des raisons des problèmes de productivité anglaise.

Figure 25

Voici un autre point que je voulais vous montrer : c’est l’une des principales tendances en cours. On ne peut pas construire, donc que fait-on ?

Voici le nom des plus grands constructeurs de logements en Grande-Bretagne. Que font-ils ? Ils disent que le marché n’est pas bon, que ce n’est pas le bon moment. En fait, ils investissent massivement sur la propriété du sol. Donc, aujourd’hui, les autorités publiques impliquées dans la construction, les Housing Associations ou Housing Trusts, n’ont plus accès au foncier parce que les constructeurs ont investi massivement dans les terrains dans toutes les villes favorables et ils les gardent. Ils attendent que les prix remontent avant de les mettre sur le marché. Nous constatons donc une crise du foncier qui s’explique notamment par les promoteurs qui portent ce type de stratégies.

Figure 26

Un dernier point intéressant à regarder concerne les très grands projets. On dit souvent qu’augmenter l’offre aura un effet sur les prix mais ce n’est pas vrai. Le cas de Londres est un exemple de construction de logements, pas suffisamment mais quand même, et où cela n’a pas bénéficié aux populations. On appelle cela la « financiarisation ». Ce n’est absolument pas la même chose à Paris : là, pour le coup, il y a un contraste important. La meilleure façon de construire du logement à Londres est de réaliser une énorme opération immobilière, à 5-10 milliards d’euros, un très gros projet, et d’y insérer du logement.

Figure 27

Quelles ont été les dernières très grandes opérations à Londres ? Vous trouverez ici, A-Gate qui était l’un des plus grands ensembles de logements sociaux qui a fait l’objet d’un macro-projet financé par des fonds qataris. Le projet final ne contient plus que 5% de logements sociaux parmi des milliers de nouveaux logements en accession.

Figure 28

C’est exactement la même chose à Battersea Power Station — certains d’entre vous se rappellent de Battersea et de la couverture d’un célèbre album des Pink Floyd,. Il s’agit d’un projet porté par un fond de pension malaisien qui a acheté l’ensemble de l’opération pour en faire un énorme projet urbain mixte intégrant du logement, des hôtels, des bureaux. Aujourd’hui, il n’y a aucun logement social dans le projet alors qu’au départ le programme en comptait 30%, même chose à Canary Wharf.

Figure 29

Un journaliste anglais dit toujours : « à Londres, plus on construit et moins on donne accès aux habitants ».

Londres, avec ses grandes tours, est devenue une ville coffre-fort où des riches du monde entier achètent des appartements mais n’y habitent pas. C’est un investissement de sécurité et chaque fois qu’il y a une crise — l’Ukraine, la Libye — les millionnaires du monde entier, beaucoup de familles chinoises notamment, achètent des appartements à Londres. C’est un produit d’investissement. C’est un cas intéressant car cela montre que l’on peut construire des logements sans qu’ils ne servent aux habitants.

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Les inégalités massives de longue durée ne sont donc pas que la conséquence de choix politiques d’autant que nos prises sont en train de baisser face à la puissance des règles de marché.

Figure 30

Les promoteurs disent qu’il faut serrer les dents et attendre que la crise passe. il s’agit d’un très beau cas d’échec. En Angleterre, aujourd’hui, le Parti conservateur porte un discours très clair, un discours néolibéral. Je n’emploie pas le terme néolibéral à toutes les sauces, c’est vraiment très rare, mais chez les Britanniques cela est nécessaire. Selon eux, si le marché produit des échecs, alors la solution est encore plus de marché. Il y a donc une très forte pression à la dérégulation malgré les importants enjeux de planification urbaine.

Réutilisation

Citation

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Veuillez citer ce travail comme suit :
Le Galès, P. (2024, January 19). Que se passe-t-il quand les crises du logement durent ? Le laboratoire britannique. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/que-se-passe-t-il-quand-les-crises-du-logement-durent-le-laboratoire-britannique.html