Xavier Timbeau indiquait, à l’instant, qu’il faut 30 ans pour obtenir les effets significatifs d’une politique 1. Il faut du temps long — mais les idées comme les élus changent en 30 ans, vous l’aurez noté !
Avec Villes Vivantes, nous travaillons depuis 10 ans au service des territoires. Dix ans d’engagement continu. Les notions de ville dense et de ville compacte émergent dans les années 2000 : il y a 9 ans, un groupe de professionnels ont convaincu les élus de l’Agglomération de La Rochelle de lancer un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour élaborer le plan local d’urbanisme intercommunal en y intégrant un volet spécifique intitulé “faire la ville compacte”. C’est décidé, en 2013 ; l’appel d’offre sort en 2014. Villes Vivantes y répond, le gagne, et nous commençons à travailler en 2015 pour élaborer un plan local d’urbanisme intercommunal qui décrit ce qu’il est possible de faire sur l’ensemble des terrains des 28 communes de l’agglomération. Ce travail a duré 5 ans, de 2014 à 2019. Début 2020, le PLUi est en vigueur. Un PLUi représente donc 5 années de travail. Vous comprenez ainsi nos délais, le temps qu’il faut. Les idées émergent au début des années 2000 et, 20 ans plus tard, un PLUi traduit l’idée de la ville compacte pour un territoire stratégique de la côte ouest française.
20 ans ! Début 2020, nous sommes en pleine crise sanitaire. J’appelle Florence Nassiet, adjointe au directeur des études urbaines de la communauté d’agglomération de La Rochelle pour savoir comment elle va, lui demande si elle est heureuse que le PLUi ait été approuvé par le Conseil communautaire, ce qui va permettre au territoire de commencer de gagner 1% par an en démographie avec une plus grande efficacité foncière, puisque les deux tiers des 2’000 logements annuels prévus par le projet sont attendus en intensification urbaine, et un tiers seulement en extension urbaine. Florence me répond qu’elle n’a pas le moral au plus haut, et qu’elle craint que les élus ne changent d’avis et souhaitent, peut-être, remettre en cause un certain nombre des principes qui ont présidé à l’élaboration de ce PLUi.
1 L’impact des mobilités quotidiennes sur l’empreinte carbone des habitants
En 2015, nous travaillons sur les données INSEE 2006-2011 et nous voyons que le SCOT de l’agglomération de La Rochelle gagne tous les ans 1’600 habitants. C’est ce que représente les cartes ci-dessus : à gauche, l’endroit où les gens habitent, à droite, là où les gens travaillent. Il s’agit d’un territoire plutôt dynamique, avec une croissance démographique de 0.8% par an. Sur les 1’600 habitants que le SCOT gagne tous les ans, seuls 600 d’entre eux (un peu plus d’un tiers) parviennent à entrer dans le périmètre de l’agglomération de la Rochelle, soit la partie centrale du SCOT, qui rassemble pourtant 80% de la population. Ce qui veut dire que 1’000 habitants restent à l’extérieur du SCOT, et vont s’installer dans les communes voisines, plus petites, ce qui les conduit à parcourir beaucoup plus de kilomètres en voiture, comme Xavier Timbeau l’a présenté à l’instant. Quand vous habitez dans ces communes, vous êtes contraints de réaliser de nombreux kilomètres pour aller travailler, emmener vos enfants à l’école, faire vos courses… Rendons-nous compte : 600 habitants arrivent à entrer à l’intérieur, 1’000 restent à l’extérieur : c’est comme si vous aviez un physionomiste, à l’entrée de l’agglomération de La Rochelle, qui laissait passer une personne sur trois selon des critères de prix immobilier, qui dépendent de la disponibilité de l’offre.
L’une de mes grandes fiertés professionnelles, ces dernières années, avec Villes Vivantes, est d’avoir réussi à convaincre les élus de l’agglomération de La Rochelle, qui étaient partis avec un objectif de construction de 1’200 logements par an, dans la continuité de ce qu’ils faisaient précédemment et conformément à ce que demandait le SCOT alors en vigueur, à décider d’en construire 1’900 ou 2’000, c’est-à-dire presque 60% de plus que ce qu’ils avaient initialement en tête. Une tâche de persuasion qui fut loin d’être évidente, et qui n’a pas été sans engendrer d’importantes résistances. Construire davantage n’était, d’ores et déjà, pas très bien reçu, mais nous avons réussi à convaincre avec une vision, un projet, mais également un appel au sens des responsabilités des élus et du territoire qu’ils représentent : accueillir dans les lieux proches des emplois, des services et des équipements, et permettre ainsi à chacun de faire baisser son budget mobilité, et ses émissions de CO2, n’est-ce pas, finalement, un devoir pour le coeur des agglomérations dynamiques ?
Nous avons réussi une deuxième performance : celle de les convaincre de réaliser la moitié de ces 1’900 logements par an au sein de ce que l’on appelle l’« unité urbaine centrale » — de l’agglomération, soit la Rochelle et ses communes limitrophes. Pour rappel, nous sommes situés en Charente-Maritime, où la plupart des maisons sont de plain-pied ou en R+1 : ce qui signifie que du R+2 semble déjà très haut ! Dans certains secteurs, nous sommes même parvenus à monter jusqu’à 5 ou 6 étages autorisés. Nous avons donc activé une densification douce de qualité, complétée par des secteurs stratégiques dédiés à une densification forte ciblée, à l’aide d’un document d’urbanisme précis et ambitieux, que nous avons réalisé avec Id de Ville, spécialiste de l’élaboration de PLU.
En 2020, pourtant, les élus ne sont donc plus sûrs de vouloir le mettre en oeuvre, notamment car une idée, en apparence anodine, mais plus pernicieuse qu’il n’y paraît, est apparue dans le débat public. Je ne sais pas d’où elle vient, mais je l’ai également entendue au Pays Basque…
La conurbation Bayonne-Anglet-Biarritz, le BAB comme on l’appelle localement, a généré un effet de concentration à la fois positif, en termes de dynamisme, mais également difficile à vivre : des habitants de plus en plus nombreux, des bouchons, une hausse des prix. A tel point, qu’à un moment donné, le maire d’Anglet refuse même de continuer à “concentrer les emplois”. Face à la crise du logement, il propose de rediriger la création d’emploi ailleurs, vers les plus petites communes situées aux alentours. Les élus rochelais ont commencé, eux aussi, à partager cette idée, considérant que la densité était peut-être trop complexe à gérer, et qu’elle présentait trop d’externalités négatives. Ils ont commencé à céder un étage, et parfois deux étages, par rapport à ce que permettait le PLUi, lors de réunions publiques avec des riverains opposés aux projets de densification.
L’idée de “déplacer les emplois en les rapprochant de là où habitent les gens” s’est répandue et elle est, désormais, systématiquement évoquée dans les réunions publiques. Et une fois qu’une telle idée existe, il est bien difficile de s’en départir…
C’est la raison pour laquelle nous avons fait appel à l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques afin de réaliser une modélisation fine des mobilités engendrées par la localisation des logements et des emplois, dans le but d’objectiver la situation. Le consensus, chez les urbanistes, et une partie des élus en faveur de villes compactes, est le résultat d’observations et d’arguments tout à fait construits, empiriques, rationnels, élaborés par des chercheurs et des professionnels ayant conduit de multiples travaux comme ceux que Vincent Fouchier2 et Shlomo Angel3 nous ont exposés ce matin. A partir de 2018, ce modèle urbain de la densité et de la compacité urbaines, a été démoli par l’émergence de nouvelles idées. Le COVID et toutes les frustrations, mais également les utopies du monde d’après qu’il a engendrées4, ont largement contribué à cette bascule.
S’il faut compter 30 ans pour qu’une politique publique efficace donne des résultats significatifs, dans la perspective de la neutralité carbone par exemple, il suffit de deux ans pour détruire un consensus mûri pendant de longues années.
2 Les déplacements sur les territoires
Les déplacements pour se rendre au travail représentent un tiers des kilomètres parcourus par les habitants d’un territoire. Les équipes de Villes Vivantes ont collaboré avec celles de Xavier Timbeau pour construire un modèle radiatif permettant de calculer, pour chaque logement, l’ensemble des déplacements possibles pour rejoindre les emplois du territoire. Les autres motifs de déplacement (loisirs, écoles, commerces…) ont été approchés par des modèles gravitaires, ce qui nous a permis de construire un modèle capable de prédire et de simuler l’ensemble des mobilités quotidiennes des ménages, selon tous les modes de déplacement et la localisation de leur habitat5. Nous sommes par ailleurs actuellement en train d’affiner ces travaux de modélisation dans le cadre d’un partenariat de recherche avec la métropole Aix-Marseille-Provence et l’OFCE, pour obtenir des résultats plus robustes, mais ce premier travail réalisé à l’échelle du SCOT de La Rochelle Aunis nous permet d’obtenir des résultats tout à fait saisissants du point de vue de la question qui nous occupe : la densité et la ville compacte ont-elles des vertus à l’échelle d’un territoire comme celui de l’aire d’attraction de La Rochelle ?
Sur cette carte, vous pouvez observer les emplois à droite, à la fois plus concentrés et dispersés que l’habitat, et puis, par ailleurs, les différents équipements.
Nous pouvons voir, sur le graphe ci-dessus, les trajets parcourus par les habitants chaque année en voiture. En bleu foncé, ce sont ceux parcourus pour le travail. Viennent ensuite les autres motifs : les études, les achats, etc.
A La Rochelle, un habitant parcourt en moyenne 3’900 kilomètres en voiture par an, (les trajets en voiture sont la principale source d’émissions carbone pour l’ensemble de ses mobilités du quotidien). Dans l’unité urbaine centrale, nous tombons à 6’100 km/an, soit 1,6 fois plus.
Au sein des autres communes de l’agglomération, le chiffre est de 7’800 km/an, soit 2 fois plus que dans La Rochelle. Encore un peu plus loin, dans les communes les plus rurales du SCOT, le chiffre est de 11’500 kilomètres parcourus par an en voiture, soit le triple des kilomètres parcourus par les habitants de la ville centre. Le modèle est donc en mesure d’établir le bilan carbone complet des mobilités du quotidien, selon le lieu de résidence : mobilités liées au travail, mais aussi toutes celles nécessaires à la vie d’un habitant. Ce bilan carbone représente, en moyenne, de 1,6 tonne de CO2 par an par habitant, ce qui correspond, à peu près, la moyenne nationale.
Sur la carte ci-dessus est figuré un très rose pointillé : ce qui se trouve en dessous de ce trait rose, du côté du centre ville de La Rochelle, correspond aux territoires dans lesquels les émissions liées aux mobilités sont inférieures à la moyenne du territoire. Au-delà de ce trait rose, les émissions dépassent cette moyenne de 1.6tCO2eq/an. En rouge, sur la carte, on peut observer des territoires dans lesquels les habitants émettent plus de 4 tonnes de CO2 par habitant, chaque année, pour se déplacer.
3 Densité du tissu urbain et émissions carbone
La carte ci-dessous montre que plus le territoire est dense en habitant par hectare, moins les émissions de carbone émises pour les mobilités du quotidien sont importantes. A l’inverse, moins le territoire est dense, plus les mobilités motorisées sont importantes, et les émissions de CO2 également. La finesse du modèle, au carreau de 200 mètres par 200 mètres, permet de montrer des variations au sein de chaque commune. Plus l’on se situe proche du bourg, moins l’on produit d’émissions. Il s’agit d’une géométrie fractale.
Lorsque nous observons les émissions à l’échelle de chaque commune, nous retrouvons la fameuse courbe Newman et Kenworthy6, à l’échelle des grandes villes du monde. Nous l’avons réalisée pour les communes du SCOT, avec un résultat sensiblement similaire : la Rochelle est tout à droite, avec des émissions liées aux mobilités à 0.9 tonnes de CO2/an par habitant, tandis que les petites communes éloignées du coeur de l’agglomération se situent à gauche du graphe, avec des émissions moyennes de 4 à 5 fois supérieures.
Lorsque l’on regarde la même relation, mais à l’échelle de l’ensemble des carreaux de 200 mètres par 200 mètres cette fois, on note la permanence d’une relation entre densité et émissions de carbone. Rien de surprenant à ce stade.
Il se trouve que La Rochelle, en plus de son PLUI, s’est engagée, avec l’Etat, dans une démarche intitulée « La Rochelle Territoire Zéro Carbone » dont l’objectif est d’atteindre une baisse de 30% des émissions d’ici 2030, et de 75% d’ici 2040. Pour ce qui est de la mobilité, de tels objectifs demandent donc de passer de 1.6 tonne à 1.1 tonne d’ici 2030 et, à terme, de descendre à 0.4 tonne de CO2 par an. Le seul territoire qui atteint déjà les objectifs de l’horizon 2030 (1.1 tonne) est celui des habitants de La Rochelle, dont les mobilités du quotidien sont d’ores-et-déjà compatibles avec cet objectif. La Rochelle compte 80’000 habitants, tout comme le reste du territoire du SCOT. Pour tout le reste du territoire, les objectifs fixés par la démarche La Rochelle Territoire Zéro Carbone semblent inatteignables, à l’heure actuelle. Ces chiffres sont révélateurs : lorsque vous montrez cela aux maires des petits villages éloignés du cœur de l’agglomération, ils prennent la mesure de l’impossibilité, pour une part importante de leur population, de conformer leur mode de vie aux objectifs à court terme de la démarche.
4 Vacance, prix et émissions carbone
Voici le taux de vacance par commune : plus la couleur est foncée, plus le taux de vacance est important. Nous pouvons constater que plus on émet de carbone pour se déplacer, plus il y a de logements vacants dans le territoire. Les habitants n’ont pas des comportements irrationnels : ils cherchent plutôt à habiter là où il est possible de se déplacer un peu moins. Il y a donc moins de vacance dans les zones où l’on émet peu pour se déplacer au quotidien. Ce qui démontre, aussi, que lutter contre la vacance n’est pas nécessairement la solution la plus immédiate pour réduire l’empreinte carbone d’un territoire.
Observons, maintenant, la relation entre le prix de l’immobilier et les émissions de CO2. La relation est évidente sur la carte : l’habitat est plus cher là où l’on peut se déplacer peu, et émettre moins. Les prix baissent avec l’éloignement du coeur de l’agglomération, et donc en même temps que les budgets et les émissions liés aux mobilités du quotidien augmentent.
Lors de la révision du SCOT, initiée en 2020, soit juste avant les élections municipales, les élus se sont mis d’accord. Ce consensus politique est représenté en vert : il s’agit de la répartition de la construction des logements neufs, qui correspond à une sorte de partage politique, de répartition spatiale des contingents à construire. Ce consensus consiste à construire 47% des nouveaux logements dans l’unité urbaine centrale (appelé le “quartier de La Rochelle” dans le SCOT), ce qui correspond à peu près à la part de la population vivant actuellement dans le coeur de l’agglomération, 33% dans le reste de l’agglomération (pour 27% de la population) et 20% à l’extérieur du SCOT (pour 27% de la population également). Nous pouvons observer que les petites communes périphériques situées à l’intérieur de l’agglomération ont ainsi regagné des marges de manœuvre supplémentaires, par rapport à leur poids démographique, mais aussi que ce consensus l’échelle du SCOT n’imprime pas, franchement, une stratégie de recentrage des constructions neuves dans les territoires les plus centraux, telle que cette stratégie avait pu être amorcée à l’occasion de l’élaboration du PLUi de l’agglomération.
Grâce au modèle développé par Villes Vivantes et l’OFCE, ce scénario pourra être évalué et comparé à d’autres scénarios, beaucoup plus volontaristes, où nous allons, par hypothèse, concentrer les constructions neuves (80%) dans le cœur de l’agglomération. En calculant le bilan carbone final par habitant, tel que prévu dans les équilibres du consensus de 2020, nous nous rendons compte que les émissions par habitant augmentent de 2.3% en moyenne sur l’ensemble du territoire du SCOT. Comme vous le voyez, il en faut très peu pour défaire un long et patient travail de conviction, et relancer, à la hausse, les émissions de gaz à effet de serre d’un territoire, quand bien même celui-ci serait engagé dans une démarche affichée de forte de réduction de ses émissions.
Le dernier scénario, hyper volontariste, simulant la création de 80% des nouvelles constructions au sein de l’unité urbaine centrale, se traduit par une baisse de 8% des émissions carbone, seulement. Cela ne suffira donc pas. Il faudra compléter cette orientation des constructions neuves vers le cœur de l’agglomération par la mise en œuvre de mobilités alternatives. Mais par rapport à l’objectif de -30% d’émissions à horizon 2030, le levier de la localisation de la seule offre neuve représente, toutefois déjà, vis-à-vis des mobilités du quotidien, un quart du chemin à parcourir.
5 Construire ou rénover ?
Une autre vertu de cette modélisation est de tordre le cou à une deuxième idée reçue, désormais largement partagée : celle qui prétend que rénover serait systématiquement meilleur, du point de vue des émissions de gaz à effet de serre, que construire. Ce raisonnement part d’une idée toute simple : la construction d’un logement induit des émissions de carbone incompressibles, liées aux matériaux de construction notamment, tandis que la rénovation, grâce au réemploi de l’existant, limite le besoin de matériaux supplémentaires.
Toutefois, ce raisonnement ne prend pas en compte la localisation du logement construit ou rénové. L’approche est monodimensionnelle. La question qui devrait être posée est plutôt celle de savoir s’il vaut mieux construire un logement neuf dans La Rochelle ou rénover un logement vacant éloigné du centre de La Rochelle.
Nous avons fait l’exercice en prenant les communes de La Rochelle, Dompierre (à proximité immédiate), Yves (en frange de l’agglomération) et Grenouillé (une commune en grande périphérie, à l’extérieur de l’agglomération mais dans le périmètre du SCOT), où l’on trouve une importante part de logements vacants. Pour un ménage de 4 personnes, les émissions annuelles de GES liées aux mobilités du quotidien sont de 3.4 tonnes à La Rochelle, de 6.2 tonnes à Dompierre, de 9.2 tonnes à Yves et de 14.7 tonnes à Grenouillet — ce qui souligne le poids de la mobilité dans le bilan carbone total d’un habitant, par rapport à la construction d’un logement neuf familial, qui représente environ une cinquantaine de tonnes.
Voici un graphe qui montre, sur 40 ans, le bilan carbone global d’une construction neuve située : à gauche, à La Rochelle, au milieu à Dompierre et, à droite, à Yves. En bas des courbes, nous retrouvons le bilan carbone de la construction elle-même : la première année, la construction de la maison émet 50 tonnes de CO2. Les émissions liées à la mobilité sont, elles, reconduites chaque année, elles progressent donc comme une droite, de façon linéaire. Tout en haut, sont indiquées les émissions de GES liées au chauffage du logement. La maison est construite aux normes RE 2020. Sur un cycle de vie de 40 ans, les mobilités du quotidien représentent 60% du bilan carbone global à La Rochelle et 80% à Yves.
Si nous comparons le scénario de construction d’une maison neuve à La Rochelle (en bleu) avec la rénovation d’une maison à Yves (en rose) ou à Grenouillé (en orange), nous pouvons observer le nombre d’années à partir duquel la mobilité induite par la mauvaise localisation d’un logement neuf compense le différentiel d’émissions entre une construction neuve et une rénovation.
Quand vous rénovez à Dompierre, c’est au bout de 8 ans ; à Yves, c’est 4 ans et à Grenouillé, il suffit de 2 ans et demi pour que la construction neuve bien située soit moins émettrice qu’une rénovation d’un bâtiment éloigné. Rénover un logement vacant à Grenouillet engendre donc, au bout de 2 ans et demi, un bilan carbone plus dégradé que si le choix avait été fait d’habiter dans un logement neuf à La Rochelle.
La rénovation n’est donc pas, en soit, plus vertueuse que la construction : cela dépend, très fortement, de la localisation. On peut même affirmer que sur un territoire comme celui de La Rochelle, la localisation du logement est plus importante, du point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, que la distinction qui peut être faite entre construction et rénovation.
6 Le potentiel d’accueil de constructions dans le contexte du ZAN
L’autre question qui se pose est celle du potentiel effectif de densification.
Cette carte présente la densité, en logements par hectare, et vous remarquez que, contrairement aux idées reçues, les densités sur l’ensemble du territoire français sont, à l’exception des centres, extrêmement faibles. Il existe donc, pour notre parc de logement, un important potentiel de croissance, sur les 100, 200, 300 prochaines années, sans difficulté et tout en restant dans des densités modérées.
En bleu, il s’agit de carreaux accueillant moins de 5 logements par hectare. Dans La Rochelle, certaines zones sont un peu au-dessus de 35 logements par hectare et il n’y a que dans la commune centre que l’on trouve, en effet, des densités un peu élevées — le reste est très faiblement dense. Sur la carte suivante, la densité est mesurée au carreau de 200 mètres sur 200 mètres (soit 4 hectares) : la moyenne à La Rochelle est de 50 logements par hectare mais, même en pleine ville, certains carreaux ont une densité autour de 10-15 logements par hectare, ce qui correspond à des densités faibles, tout à fait vivables et tout à fait compatibles avec, par exemple, une forme d’habitat essentiellement constituée de maisons individuelles avec jardin.
Sur cette troisième carte nous pouvons voir, en rose, les carreaux de 200m par 200m dans lesquels la densité est supérieure à 30 logements par hectare, ce qui reste tout à fait modeste. Les petites échoppes bordelaises, par exemple, ou les petites maisons de ville que l’on rencontre à La Rochelle et sur ses boulevards, correspondent à un tissu bâti d’une densité d’environ 40 logements par hectare. A 30 logements par hectare, nous sommes donc moins dense qu’un tissu urbain constitué de maisons de ville. Nous pouvons tout à fait convenir de ne pas toucher ces secteurs-là, car cela correspond à une densité déjà importante pour la Charente-Maritime.
À l’intérieur du périmètre jaune, qui représente les secteurs où les émissions de GES sont inférieures à la moyenne du territoire, il est possible d’identifier des carreaux bleus où nous pourrions imaginer augmenter la densité afin qu’elle atteigne, progressivement, 30 logements par hectare. Cela représenterait un potentiel d’accueil d’environ 110’000 logements, soit de quoi loger l’ensemble des habitants du SCOT. Il est donc, en principe, possible d’accueillir tous ceux qui le souhaitent à l’intérieur du périmètre jaune, avec une densification douce qui demeurerait inférieure à 30 logements à l’hectare.
Ceci n’est pas, effectivement, un projet politique, mais un simple calcul de potentiel pour répondre à la question de ce qu’il est possible de faire. Techniquement, il est possible de proposer à une part importante de la population d’habiter, si elle en fait le choix, dans des secteurs où elle parcourra moins de kilomètres chaque jour pour se déplacer. Politiquement, tout le travail reste à faire, bien entendu, en particulier auprès de la population qui a déjà la chance, et les moyens financiers, de vivre dans cette partie privilégiée du territoire.
Observons, maintenant, Bordeaux Métropole, où la dernière modification du PLUi fige la grande majorité du potentiel de densification douce (60% des terrains) de l’agglomération en interdisant la création de bandes d’accès. En cela, la métropole bordelaise est un très bon exemple de ce qui s’est passé, dans la période 2008-2013, qui est celle d’un recentrage vers le cœur des agglomérations, et par la suite, avec un mouvement inverse.
De bas en haut, cette carte montre le taux de migration, c’est-à-dire le seuil migratoire divisé par la population : plus les communes sont hautes sur ce graphique, plus elles ont un taux migratoire important. Et de gauche à droite, il s’agit d’un « taux de répulsion des actifs », c’est-à-dire l’augmentation des emplois divisé par l’augmentation des actifs. Plus vous êtes à droite sur ce graphique, plus vous créez des emplois plus rapidement que vous n’accueillez les actifs, c’est-à-dire les personnes qui pourvoient ces emplois.
Les ronds blancs représentent, sur ce graphe, la première période (2008-2013), et les ronds bleus, la période suivante. Toutes les grandes villes attractives — prenons l’exemple de Bordeaux — tendent vers la droite, d’une période à l’autre. Tous ces territoires ont augmenté leur taux de répulsion des actifs entre les deux périodes. Nos politiques publiques sont confrontées à des champs culturels de résistance. Les documents d’urbanisme, de programmation territoriale, sont empêchés dans leur application par des résistances culturelles et sociales. Dans les faits, la construction d’étages supplémentaires n’est pas autorisée. Dans les faits, la dernière révision du PLUi de Bordeaux Métropole vient ajouter un tour de vis supplémentaire pour abaisser la constructibilité et nous rapprocher, un peu plus, d’une véritable mise sous cloche de l’ensemble du territoire.
7 L’avis des habitants
Voici un sondage réalisé par Sud-Ouest au Pays Basque, un territoire où les habitants manifestent dans les rues contre la pénurie de logements. Le sondage IFOP indique que 72% des personnes interrogées estiment qu’il n’y a pas suffisamment de logements au Pays Basque — jusqu’ici tout est logique — mais ils sont à peine 2% à penser qu’il faudrait densifier les villes, seulement 5% à estimer qu’il faudrait construire un peu plus en hauteur, en favorisant les surélévations, et pas plus de 6% à penser qu’il faudrait libérer des terrains (en extension ou en densification) pour construire.
Il existe donc un vaste consensus pour ne pas construire, bien que nous soyons dans des territoires où l’on souffre terriblement de la crise du logement. Pourtant, tous les travaux présentés aujourd’hui démontrent que la trajectoire de neutralité carbone demande une meilleure organisation et une meilleure planification de nos espaces de vie afin de tirer bénéfice de la densité, de la bonne localisation des emplois ou encore des entrepôts de logistique7. Nous avons besoin de limiter notre empreinte spatiale mais cette nécessité est orthogonale aux préférences exprimées par le public qui vote dans les parties stratégiques de nos territoires. L’opinion publique a, de ce point de vue, bien régressé depuis les années 2010.
Depuis les 2000, des acteurs comme Vincent Fouchier construisent un consensus politique, effectuent un véritable travail de conviction des élus. Puis la population qui habite dans les lieux les mieux situés fait pression, et nous sommes obligés de constater que, logiquement en démocratie, les élus cèdent. Ce qui est intéressant, c’est qu’aujourd’hui, même nous, professionnels de l’urbanisme, ne sommes plus certains d’adhérer à ce consensus qui voudrait qu’une agglomération comme La Rochelle lance un appel d’offre en faveur de la ville compacte pour orienter son développement à venir. Nous ne sommes plus sûrs, nous urbanistes, en 2024, que la ville compacte soit une bonne idée.
Le travail de modélisation mené par Villes Vivantes avec l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques permet de faire une démonstration, factuelle et mathématique, qui établit le lien avec la stratégie nationale d’atteinte de la neutralité carbone, afin de permettre d’apporter, dans le débat public, de nouveaux arguments rationnels en faveur de la construction dans le coeur des agglomérations. Ils complètent, en cela, des travaux tels que ceux présentés par Thomas Hanss, ce matin, qui montrent par ailleurs que densification et préservation de la biodiversité sont loin d’être incompatibles8, et que la constitution d’îlots de fraîcheur urbain, en particulier grâce à la contribution de la nature en ville, ne saurait être un argument suffisant pour justifier l’étalement urbain, l’augmentation des mobilités carbonées et, ainsi, des émissions de gaz à effet de serre.
8 L’évaluation des besoins en logements
Pour conclure, voici un graphique réalisé par le Conseil général de l’environnement et du développement durable. On y remarque que, du fait de l’évolution sociologique et de l’immigration, 250’000 nouveaux ménages se créent tous les ans en France. À ces besoins de nouveaux logements, s’ajoute le besoin suscité par la progression des résidences secondaires qui représentent entre 50 et 60’000 habitations supplémentaires chaque année. La progression de la vacance de logements (souvent mal situés, comme j’ai pu le décrire dans le cas de l’agglomération de La Rochelle) crée, pour sa part, un besoin de 60’000 logements chaque année.
Pour ce qui est de l’évaluation globale du besoin en logement, tous les professionnels s’accordaient, jusqu’à il y a peu de temps, autour d’un chiffre avoisinant les 500’000 unités par an. Ces dernières années, en France, nous avons plutôt construit entre 350’000 et 400’000 logements annuels. Ainsi, si les besoins réels étaient de 370’000 unités, comme l’affirment certains aujourd’hui, la production aurait dû être suffisante. Sauf que dans les faits, elle ne l’a pas été.
À ces trois sources des besoins en logements, il convient en effet d’en ajouter une quatrième élément : la géographie. En particulier la géographie qui vise la neutralité carbone, que les habitants ont déjà un peu anticipé mais que nos débats politiques et techniques n’arrivent plus à mettre sur la table, et à proposer clairement au consensus général : permettons au maximum d’habitants qui le souhaitent de vivre dans des lieux qui leur permettront de réduire, drastiquement, leurs émissions de gaz à effet de serre.
Quand nous considérons l’ensemble du territoire français, il en ressort certains mouvements géographiques nationaux. Nous pouvons, notamment, observer une sorte de « ruée vers l’ouest », ce qui implique un besoin en logement beaucoup plus important qu’ailleurs. Mais nous observons aussi, et nous venons de le voir à La Rochelle, qu’à l’intérieur des aires d’attraction, il existe aussi des nécessités de recentrage : les besoins sont beaucoup plus importants là où les émissions de GES des résidents sont les plus faibles.
Ces besoins-là ne sont pas intégrés dans les chiffres d’augmentation du nombre de ménages ; ils ne sont pas compris dans les variations du nombre de résidences secondaires, ni dans celles de la vacance. Nous avons des besoins fonctionnels en nouveaux logements qui ne sont pas simplement des besoins de mètres carrés habitables, mais qui sont liés à une bonne organisation du territoire : les Français ont besoin de mètres carrés habitables bien situés. Ces besoins, cachés lorsque l’on omet la géographie de nos raisonnements sur le logement, expliquent pourquoi nous avons très certainement besoin de 500’000 logements plutôt que de 370’000 chaque année.
Nous allons poursuivre ces travaux, en 2024 afin que, territoire par territoire, nous puissions évaluer les besoins en logement. Non seulement pour répondre stricto sensu à l’augmentation du nombre de ménages, mais également pour proposer une solution pertinente à l’enjeu de localisation de ces derniers par rapport aux emplois et au bon fonctionnement du territoire qu’ils habitent.
Le logement doit non seulement apporter du confort, mais aussi faire en sorte que notre organisation territoriale soit performante, au service de la trajectoire 2030-2050 de la neutralité carbone.
Notes de bas de page
Timbeau, X. (2024, 18 janvier). Modéliser l’accessibilité aux emplois : faut-il déconcentrer les emplois ou regrouper les logements ? Leçons de La Rochelle, Clermont-Ferrand et Marseille. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/modeliser-l-accessibilite-aux-emplois-faut-il-deconcentrer-les-emplois-ou-regrouper-les-logements-lecons-de-la-rochelle-clermont-ferrand-et-marseille.↩︎
Fouchier, V. (2024, 19 janvier). Pourquoi est-ce que l’intensification urbaine est la solution ? Les bénéfices métropolitains de la compacité, de la polycentralité et de la densité dans les pays de l’OCDE. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/pourquoi-est-ce-que-l-intensification-urbaine-est-la-solution-les-benefices-metropolitains-de-la-compacite-de-la-polycentralite-et-de-la-densite-dans-les-pays-de-l-ocde.↩︎
Angel, S. (2024, 19 janvier). Anatomie de la densité. Organic Cities, Paris. Sciences Po & Villes Vivantes. https://papers.organiccities.co/anatomie-de-la-densite.html.↩︎
https://organiccities.co/sequence/le-debat—demetropolisation-une-hypocrisie-francaise.↩︎
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Réutilisation
Citation
@inproceedings{miet2024,
author = {Miet, David},
publisher = {Sciences Po \& Villes Vivantes},
title = {Devrions-nous rénover tous les bâtiments bien que certains
soient éloignés des centres urbains ou construire plus de logements
neufs au coeur des agglomérations\,? Une réévaluation des besoins en
logements en France},
date = {2024-01-19},
url = {https://papers.organiccities.co/devrions-nous-renover-tous-les-batiments-bien-que-certains-soient-eloignes-des-centres-urbains.html},
langid = {fr}
}